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tomba malade, comme pris (216) par la phtisie, et mourut en ayant craché ses poumons. Le président lui-même, Rigoni[1], qui pressait le jugement, fit enterrer sa femme sans cérémonie religieuse, chose étonnante mais que j’ai entendu affirmer par plusieurs témoins ; on raconte aussi que, malgré sa réputation d’intégrité, il n’échappa que par la mort au procès qu’on lui intentait ; ensuite son fils, un jeune homme, fut emporté par la mort, de sorte qu’on pourrait dire que sa maison tout entière fut ravagée par les Furies. Quelques jours après, le beau-père de mon fils, qui avait travaillé à sa mort, fut jeté en prison et, après avoir perdu son emploi de collecteur d’impôts, réduit à mendier ; son fils qu’il aimait beaucoup finit à la potence, ayant été condamné en Sicile, à ce que j’ai appris. De tous ceux qui accusèrent mon fils aucun n’échappa sans un grand malheur, une condamnation, ou la mort : jusqu’à notre souverain et prince[2], par ailleurs généreux et humain, qui l’avait abandonné par jalousie à mon égard et à cause de la foule des accusateurs. Lui aussi, fut en proie à toute sorte de tourments : des maladies graves, le meurtre de sa nièce assassinée par son mari, de pénibles démêlés. Puis il arriva même un malheur public : l’île de Zotophagite[3] perdue et la flotte royale dispersée. Je ne serais pas assez imprudent (217) ou insensé pour croire que rien de tout cela ait à faire avec moi ; mais, de même que dans les orages les moissons sont détruites, les hommes de bien succombent aux époques de grandes calamités, quand ils n’ont plus l’appui des bons princes, absorbés par les malheurs publics ou par leurs propres malheurs. Ce sont les temps que guettent soigneusement les malhonnêtes imposteurs, car ils y mettent tous leurs espoirs.


  1. Bugati, Historia universale, p. 1024, le nomme Pietro Paolo Arrigone presidente del Senato.
  2. Le duc de Suessa, gouverneur du Milanais, qui n’intervint pas en faveur de Giovanni Battista. Cardan a raconté (De util. ex adv. cap., III, 9-10) qu’il avait perdu la faveur de ce prince en insistant maladroitement pour obtenir la restitution d’un livre précieux qu’il lui avait prêté. Peu de temps avant, Cardan lui avait dédié avec de grandes flatteries une édition de De Subtilitate (Bâle, 1560).
  3. Faudrait-il lire Lotophagite insula, l’île des Lotophages ? et penser au désastre de l’expédition de Tripoli en 1560. Cf. Bugati, Historia universale, p. 1037 : Sciagura dei Christiani alle Gerbi ; rimasero perse uentisette galere nostre, una galeotta, con quattordici naui, le monitioni, le artiglierie et altre ricchezze, et che fu più da quindici, in diciotto mila anime.