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de quelqu’un ; c’était le 30 novembre 1536. Y avait-il un rapport entre les deux faits ? Pas du tout. Combien de fois les présages n’aboutissent à rien ! Les uns comme Auguste ont tiré profit d’observations mal fondées, d’autres comme Jules César ou Sylla de les avoir méprisées. Il en est de même pour le jeu de dés, dans lequel il n’y a pas de règle, ou du moins cette règle est obscure. Mais ce qui dépasse la nature n’est pas du domaine de la raison naturelle ; ce qui lui est soumis ne contient rien de merveilleux, sauf pour les ignorants.

Ce fut différent le jour où je faillis me noyer dans le lac de Garde[1] ; je craignais de m’embarquer sans savoir pourquoi et l’air était parfaitement tranquille. La même année, plusieurs phénomènes apparurent dont les uns indiquaient la délivrance, les autres un malheur, comme la rupture de mon collier où était suspendue une émeraude. Mais auparavant, trois bagues que je portais à divers doigts (la chose est vraiment étonnante) s’étaient groupées sur un seul doigt ; qu’elles eussent pu quitter mes doigts et qu’elles se fussent réunies, tout était fort digne d’admiration, surtout du fait que, par la suite, la libération et la condamnation se réalisèrent. Mais ce sont des dons de Dieu, car tout ce qui touche au prodige n’est rien de moins. J’étais, dès ma première enfance, condamné (215) à une mort prématurée par bien des signes : la difficulté de respirer, le grand froid aux pieds qui persistait jusqu’au milieu de la nuit, les palpitations de cœur dans mon âge mûr, cette sueur abondante qui se transforma plus tard en un flux d’urine durable, les dents espacées et très faibles, la main droite mal construite, la ligne de vie très courte, inégale, brisée, ramifiée et les autres lignes principales ténues comme des cheveux ou tout à fait tortueuses ; les astres qui menaçaient absolument ma mort, dont tout le monde disait qu’elle arriverait avant mes quarante-cinq ans. Tout s’est révélé vain. Je vis, j’ai soixante-quinze ans. Ce n’est pas que ces disciplines soient trompeuses, mais leurs adeptes sont incapables. Si elles étaient telles, cela ne pouvait se manifester avec plus d’éclat que chez Aristote, à propos duquel on ne lit rien de pareil. Mais passons à l’histoire de mon fils qui mérite vraiment plus d’attention[2].

Son sort se décida en cent vingt-et-un jours[3]. Il mourut en s’écriant que sa mort était causée par l’ignorance de celui qui avait obtenu la sentence par ses arguments et ses objurgations. C’était le Sénateur Falcuzio[4], homme de premier plan, qui fut suivi par toute l’assemblée. Aussitôt après la condamnation de mon fils, il

  1. Chap. XIII.
  2. Voir chap. XXVIII et notes 1 à 5.
  3. Chiffre mal explicable. Entre l’arrestation (17 février) et l’exécution (10 avril) il ne s’écoula que 53 jours. Il faut peut-être y ajouter les deux mois que durèrent les hésitations (fassus est rem totam, adeo stulte ut adiecerit se iam duobus mensibus ante hoc deliberasse. De util. ex adv. cap., IV, 12)
  4. Cardan avait précédemment dédié une édition de ses Contradicentium medicorum libri duo au Sénat de Milan (Amplissimis, prudentissimis honestissimis Caesaris Senatoribus mediolanensibus, VI, 295-298) et parmi les noms qu’il couvrait d’éloges on trouve ceux qu’il stigmatise ici.