Page:Cardan - Ma vie, trad. Dayre, 1936.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il m’arriva quelque chose de semblable en 1531. Contre son habitude, une chienne d’humeur tranquille hurlait sans arrêt ; des corbeaux s’installèrent sur le faîte de la maison (210) en croassant plus qu’à l’ordinaire ; des fagots de bois qu’un domestique brisait dégageaient des étincelles brûlantes. Ce fut l’année où je me mariai à l’improviste, et depuis ce moment ç’a été un cortège de malheurs.

Tout ce qui m’arrivait n’était pas pourtant avertissement divin. J’avais environ treize ans quand un corbeau, sur la place de Sant’Ambrogio, me prit par un pan de mon habit et ne voulut plus me lâcher, malgré tous mes efforts soit pour l’entraîner soit pour le repousser ; cependant, de longtemps, rien de funeste n’arriva à moi, ni à aucun des miens.

J’ai observé aussi d’autres grands phénomènes, mais tout à fait naturels. Dans mon enfance, deux heures avant le coucher du soleil, une étoile, semblable à Vénus, brilla avec tant d’éclat que toute la ville put la voir. En 1531 au mois d’avril, je vis à Venise, où j’étais alors par hasard, trois soleils entourés de rayons, tous trois à l’orient, et ce spectacle dura presque trois heures entières. Auparavant, vers 1512, dans le territoire de Bergame près de l’Adda, il tomba en une nuit, à ce qu’on dit, plus de mille pierres. Le soir précédent une immense flamme pareille (211) à une énorme poutre avait traversé le ciel. Étant enfant, j’ai vu une de ces pierres qui pesait plus de cent dix livres dans la maison de Marc Antonio Dugnani, près de l’église de San Francesco (je ne me souviens pas si c’étaient des livres communes ou des grandes, cent onze livres grandes équivalant à deux cent cinquante-neuf livres de Milan). La pierre était de forme régulière, de couleur cendrée assez foncée, et toute fissurée, ce qui permettait de supposer sa chute : frottée elle dégageait une odeur de soufre ; elle était en tout semblable à une pierre à aiguiser. Ce pouvait être aussi artificiel, car dans la région on extrait ces pierres de la terre et on les vend à travers le monde entier comme queux. J’ai tenu à donner ces détails parce que, ni chez Gasparo Bugati ni chez Francesco Sansovino, diligents écrivains italiens de notre temps[1], je ne trouve rien sur ce sujet. Mais dans quel but ces gentilshommes auraient-ils façonné ces pierres ? Et on en montrait d’autres encore, çà et là, bien que de moindre volume, ce qui ne devait pas être un spectacle agréable aux princes qui régnaient alors. On sait que ces phénomènes encouragent les séditieux à ourdir des changements, et peut-être en effet

  1. Voir chap. XLVIII, nos 17 et 18.