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soignais les Espagnols, j’obtins de merveilleux succès. (198) Personne, en effet, ne peut se vanter d’avoir sauvé quelqu’un que j’avais déclaré inguérissable, tandis que j’ai rendu la santé à une foule de malades qui avaient été abandonnés.

J’ai dit ailleurs que la chance ne joue aucun rôle dans les arts. De quelle chance a besoin un barbier pour raser et un musicien pour chanter ou toucher d’un instrument ? Pas davantage en médecine. Mais il y a dans la médecine trois circonstances qui sont au-dessus de l’art et par lesquelles elle semble soumise au hasard. D’abord elle n’est pas aussi accessible aux sens que l’art du barbier ou d’un autre humble artisan. Quand donc un médecin tombe sur une infection interne ou sur une maladie multiple et compliquée, s’il ne peut agir utilement, la faute en est à l’incapacité de l’artisan et non à l’insuffisance de l’art. Or cet art se compose de tant d’éléments que, maintenant comme autrefois, il est partagé entre de nombreux spécialistes, chirurgiens, oculistes, médecins praticiens, lithotomistes, herboristes, spécialistes des fractures ; et chaque branche se subdivise en nombreux rameaux minuscules. Si donc le médecin se trouve en présence d’une maladie qu’il a eu l’occasion d’étudier longtemps et de traiter heureusement, on peut dire qu’il a de la chance, sinon c’est tout le contraire. En outre le médecin a besoin de remèdes, d’aides, d’assistants, de pharmaciens, de phlébotomistes, de cuisiniers et de la bonne marche des agents extérieurs : (199) le feu, l’eau, le lit, la propreté, le silence, les amis ; la peur, au contraire, la tristesse, la colère font que, avec une maladie guérissable, le malade meurt tout de même. Bref, cela, du moment que c’est un art, n’est pas soumis au hasard. Mais il en va différemment lorsqu’un art comprend plusieurs genres, comme la médecine, ou dépend de plusieurs agents, bien qu’étant d’un seul genre, ou encore, tout en étant exécuté par un seul agent, comme la fabrication des clous, la frappe des monnaies, le labourage, les semailles, il est soumis à diverses conditions. J’ajoute, si cela fait quelque chose à l’affaire — et Hippocrate affirme que cela fait beaucoup — que j’ai exercé en divers lieux : d’abord à Venise, puis dans le territoire de Padoue, à Piove di Sacco (pour employer un mot italien), à Milan, à Gallarate, à Pavie mais peu, à Bologne, à Rome, en France, à Lyon, en Angleterre et en Écosse. Un autre avantage est mon âge : j’ai soixante-quinze ans, alors que Galien n’a pas dépassé soixante-sept, Avicenne ou Hasen cinquante-sept, l’un et l’autre ayant passé