Page:Cardan - Ma vie, trad. Dayre, 1936.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

porter le poids. Je demandai qu’on essayât de la ramener à sa position naturelle, mais avec précautions. (190) D’aucune manière on n’y put parvenir. Tous restaient stupéfaits, surtout le père. Alors Croce laissa échapper ces mots : « Or bene, (c’est à dire voilà, expression commune à ceux qui commencent un discours) Don Girolamo n’a pas son pareil pour le diagnostic. » À peine eut-il entendu ces paroles, Sfondrato se tourna vers moi et me dit : « Puisque vous avez reconnu la maladie, pensez-vous qu’il y ait un remède ? » Les autres se taisant, moi, pour ne pas gâter par de vaines promesses la gloire que je venais de m’acquérir, je me tournai vers mes confrères : « Vous savez ce que dit Hippocrate dans ce passage, Febrem convulsioni… », et je récitai l’aphorisme. Croce se tint sur la réserve pour essayer de garder l’amitié de Sfondrato : si l’enfant guérissait il pourrait recouvrer la bienveillance dont il avait jusqu’alors joui, et si l’enfant mourait il ne paraîtrait pas avoir été jaloux de la gloire d’un rival. Aussi, d’accord avec le protophysicien Cavenago, me confia-t-il le traitement. Ils comprenaient bien que la modération leur vaudrait plus de louanges qu’une dispute.

J’ordonnai une friction et un enveloppement dans un linge mouillé d’huile de lin et de lys ; l’enfant devrait être traité très délicatement tant que son cou ne serait pas redressé ; la nourrice devrait s’abstenir de viande, l’enfant de tout aliment solide ou liquide (191) autre que le lait en petite quantité ; son berceau placé dans un endroit chaud serait agité doucement, mais sans cesse, jusqu’à ce que vienne le sommeil[1]. Quand les autres médecins furent partis, je me souviens que le père me dit : « Je vous le donne comme votre fils ». Et je lui répondis : « Vous êtes mal inspiré de remplacer pour lui un père riche par un pauvre ». Il répliqua : « Je veux dire, soignez-le comme s’il était à vous, sans rien craindre s’ils (c’est à dire les autres médecins) en sont offensés ». « Je préférerais, dis-je alors, qu’ils me fussent associés en tout et qu’ils me donnassent leur aide. » Je pris ces dispositions pour lui faire comprendre que je ne désespérais pas absolument de la cure, mais que je n’étais pas non plus assuré, et que j’étais plus modéré que savant et habile dans mon art. Les choses tournèrent bien. En effet, bien que la maladie fût proche du quatorzième jour et que le temps fût chaud, l’enfant fut en pleine convalescence en quatre jours. Ce que voyant, et à ce que je crois, moins parce que j’avais reconnu la maladie — ce qu’on pouvait attribuer à mon expérience

  1. Le détail du traitement a été consigné dans : Curatio XV, De opisthotono (VII, 256-257).