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et, bien plus encore, s’il était innocent : « Hélas ! il est coupable de la mort de sa femme, il vient d’avouer, il sera condamné à mort et frappé de la hache ». Je m’habille aussitôt et je vais au tribunal. À mi-chemin je rencontre mon gendre qui me dit tristement : « Où vas-tu ? » Je réponds : « Je crains que mon fils ne soit coupable[1] et n’ait tout avoué ». Il me dit alors : « Il en est ainsi. Cela vient d’arriver. » Là-dessus, quelqu’un que j’avais placé comme observateur accourut et raconta toute la suite des événements.

Parmi mes dons naturels, il y eut celui-ci : ma chair sentait le soufre, l’encens et d’autres odeurs encore, surtout vers trente ans, quand j’étais gravement malade. Après mon retour à la santé, il n’y eut plus que mes bras qui semblaient dégager une forte odeur de soufre, et je souffris alors de démangeaisons. Ces symptômes ont disparu depuis le début de la vieillesse.

Une autre particularité c’est que quand j’étudiais, débarrassé de tous autres soucis et avec le secours de mes maîtres, je ne comprenais ni Archimède ni Ptolémée. Dans une vieillesse avancée, après avoir interrompu ces études pendant trente ans, plein (171) d’affaires, encombré de soucis, sans aucune aide, je les comprends tous deux clairement.

RÊVES

Le fait que mes rêves furent si véridiques ne peut-il pas paraître digne d’admiration ? Je ne voudrais qu’effleurer à peine ce sujet. Dans quel but en effet ? Mais ils étaient d’une clarté éblouissante et s’appliquaient à des circonstances décisives. Il en fut ainsi par exemple vers l’année 1534[2] quand je n’avais encore rien d’établi et que tout allait chaque jour de mal en pis. Au point du jour je me vis en rêve, courant au pied d’une montagne qui était à ma droite, en même temps qu’une multitude immense de gens de toute condition, de tout sexe, de tout âge, des femmes, des hommes, des vieillards, des enfants, grands et petits, des pauvres, des riches, tous vêtus diversement. Je demandai où nous courions tous. L’un d’eux me répondit : « À la mort ». Effrayé, moi qui avais les monts à ma gauche, je me tournai pour les avoir à ma droite, je m’accrochai aux vignes qui couvraient le milieu de la montagne jusqu’au point où j’étais : elles portaient des feuilles sèches (172) et aucun raisin, comme on les voit en

  1. Cardan a affirmé souvent que l’instigateur et l’auteur de la tentative d’empoisonnement sur sa bru était un valet de son fils, qui ne fut pas inquiété au cours du procès. Voir entre autres : De util. ex. adver. cap. IV, 12 (II, 267 sqq.)
  2. Ce rêve est un de ceux que Cardan a le plus souvent rappelés, par exemple dans les diverses rédactions des De libris propriis, II (I, 64) III (I, 101) et ailleurs. La comparaison montrerait comment le sens général de l’interprétation restant le même, Cardan la rectifie et la complète peu à peu à l’aide des accidents successifs de sa vie. En 1554 il ne savait pas ce que signifiait cet enfant qu’il tenait par la main, en 1562 il y reconnaissait le jeune Ercole Visconti, alumnus meus qui statim a coniugo filii domum meam ingressus est : conueniunt enim aetas, tempus et forma ad unguem. En 1575 c’est une troisième, ou une quatrième solution qui lui vient à l’esprit.