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gré infini à leur citoyen. Il n’en est pas de même pour Pavie dont pourtant je suis vraiment citoyen par la naissance, un long séjour et une maison achetée. Mais comme la fièvre résout certaines maladies et préserve de la mort des malades qui ne pourraient guérir d’aucune autre manière, à ce qu’affirme Hippocrate dans ses Aphorismes, ainsi la prison[1], survenant après ces cris qui me chargeaient de tant de crimes, les fit taire tous, et il ne resta plus trace de soupçon ; — bon exemple de ce que (153) peut l’envie. — Et vous médecins, que vous ai-je fait ? La honte donc et le blâme prirent fin là où on espérait les voir commencer.

Mais laissons ces discours touchant l’infamie et le déshonneur. Ce sont, à mon âge, des cancans qui conviennent à des femmes plutôt qu’à des hommes. Ne fut-ce pas une belle invention, ce dialogue que l’on faisait circuler à Bologne sous le titre de Melanphron, c’est-à-dire la science obscure et noire. Mais il était si grossièrement conçu, si mal publié que l’expérience même montrait que la sagesse de l’auteur n’était ni blanche ni noire : aussi furent-ils contraints de détruire eux-mêmes leur œuvre[2].

Revenons dans ma patrie où je fus privé du service médical à l’hôpital Sant’Ambrogio, qui rapportait par an de sept à huit écus d’or[3] ; j’avais alors, sauf erreur, trente-sept ans. Déjà auparavant, à vingt-neuf ans, j’avais perdu à Caravaggio une charge dont le produit n’atteignait pas quatre-vingts écus d’or ; c’était un travail de bête de somme, mais un accord avait déjà été conclu à Magenta pour cinquante-cinq écus. Moi, au bout d’une heure, je m’en étais éloigné, tant je risquais (154) d’y dépérir, bien loin de pouvoir y vieillir. À Bassano (c’est un village du territoire de Padoue) vers la même époque, malgré l’intervention de mes amis, je ne reçus pas l’emploi de médecin qui était payé cent écus d’or.

Une belle proposition fut celle de Cesare Rincio, un des premiers médecins de notre ville : si j’avais voulu me charger du service d’un village des environs de Novare, éloigné de cinquante milles de Milan, j’aurais eu douze écus de traitement annuel. Il ne faut donc pas s’étonner si je restai cinq ans à Piove di Sacco, quoique sans traitement. Gian Pietro Pocobello, à Monza, et Gian Pietro Albuzio, à Gallarate, acquirent un patrimoine d’environ vingt écus[4], grâce à un mariage contracté dans le seul espoir d’hériter. Ni l’un ni l’autre ne put en conclure un autre, car leur première femme survécut.


  1. Chap. IV et n. 9.
  2. Il n’est rien resté de ce dialogue, mais on peut se faire une idée des critiques ou des moqueries qui atteignaient Cardan par la pasquinata de 1563, publiée par Frati d’après le ms 2136 de la bibliothèque de Bologne (Una pasquinata contro i lettori dello studio bolognese nel 1563, Atti e mem. delle R. deput. di storia patria per la… Romagna, IIIe série, XX (1902) pp. 172-186). Voici les traits décochés à Cardan :
    Guardati, infermo, non darti alle sue mani,
    Se dal’ altri non sei prima abandonato,
    Che saresti per Dio tosto spaciato.

  3. Cf. Somn. synes lib. IV, (V, 179) : Anno 1538… cum esset ea dies in qua petiturus eram a Xenodochii Praefectis curam pedotrophii cuius possessione iam eram… ut qui longe maiorem utilitatem quam esset praemium loci eius praestitissem. Petii, repulsam tuli, magno cum rubore.
  4. Vingt mille écus, sans doute ?