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Tandis que j’étais à Bologne et qu’on discutait mon contrat, on vint deux ou trois fois la nuit, au nom des sénateurs et des juges, me demander de souscrire à cette proposition : qu’une femme déjà condamnée pour impiété et pour sortilège ou maléfice devait être acquittée du point de vue civil et religieux, surtout en vertu de cet argument que, d’après les philosophes, il n’y aurait pas de démons[1]. Pour une autre femme, qui n’avait pas encore été condamnée, on me demandait de la faire relâcher sous prétexte que son malade était mort entre les mains d’autres médecins. On m’apportait aussi des thèmes (147) de nativités pour que j’en tire l’horoscope, comme un devin ou un prophète et non comme un professeur de médecine. Ils en furent pour leur peine inutile et leur mauvaise réputation.

Un jour, quand j’avais à peine douze ans, je déchargeai un fusil, et la bourre de papier alla blesser la digne femme d’un musicien ; la correction fut une gifle, si forte que je tombai.

La dispute que je soutins à Milan fut une entreprise au-dessus de mes forces et qui ne se termina pas heureusement. Quelques médecins firent pression sur moi pour m’amener, en 1536 ou 37, à conclure avec leur Collège un accord honteux qui, du reste, comme je l’ai dit[2], fut résilié en 1539, et je recouvrai tous mes droits. En 1536, du temps que je donnais mes soins à la famille des Borromée, je vis en songe, au petit jour, un serpent d’une grandeur extraordinaire, par lequel je craignais d’être tué. Peu après, je fus appelé auprès du fils du comte Camille Borromée, homme notable et illustre. J’y allai. L’enfant, qui avait sept ans, ne me parut pas gravement atteint, mais en observant le pouls je notai qu’il était intermittent, (148) une fois sur quatre. La mère du petit, la comtesse Corona, me demandait comment il allait. Je répondis que la fièvre ne semblait pas forte mais que néanmoins je craignais quelque chose en raison de cette défaillance du pouls, sans savoir précisément quoi. Je ne connaissais pas encore les livres de Galien sur le diagnostic par le pouls. Aucun changement ne s’étant manifesté jusqu’au troisième jour, je décidai de donner des pilules du médicament nommé turbith, accompagné de diarob. J’avais déjà écrit l’ordonnance, et un domestique était parti vers la pharmacie, quand je me souvins de mon rêve. Ce symptôme n’indiquerait-il pas que cet enfant doit mourir ? me dis-je. (Et les livres de Galien, quand ils ont paru, depuis, l’ont ainsi montré.) Les médecins qui me sont hostiles en accuseront

  1. Sans doute se fondait-on pour cela sur les opinions fort sceptiques qu’il avait exprimées dans le De rerum varietate tant sur les sorciers que sur les démons et qui furent condamnés par la Congrégation de l’Index. Voir chap. IV n. 9.
  2. Chap. IV.