Page:Cardan - Ma vie, trad. Dayre, 1936.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le pays est extrêmement froid et humide, les habitants absolument barbares, les rites religieux et les dogmes très différents de ceux de l’église romaine ; pour l’Écosse, il n’était pas possible de faire passer de l’argent par les banquiers ou les courriers en Angleterre et encore moins en France ou en Italie. Cette dernière proposition me fut faite en 1552 au mois d’août. Au mois d’octobre, le savant prince de Bois-Dauphin et Vilandri, secrétaire du roi de France, m’en firent une autre : huit cents écus couronnés par an (140) ou, si je voulais seulement baiser la main du roi (comme on dit) et partir aussitôt après, un collier de cinq cents écus. D’autres me sollicitaient pour le service de l’empereur, qui assiégeait alors Metz. Je ne voulus accepter d’aucun côté de l’empereur, parce que je le voyais dans de grands embarras (il perdit la plus grande partie de son armée du froid et de la faim) ; du roi, parce qu’il n’était pas convenable d’abandonner mon souverain pour m’attacher à son ennemi.

Tandis que j’allais d’Anvers à Bâle, l’illustre Carlo Affaitato me reçut dans sa villa et fit tous ses efforts pour me faire accepter, malgré que j’en eusse, une mule de bonne race dont le prix approchait cent écus d’or. Il était en effet d’une urbanité et d’une libéralité singulières, ami des hommes de valeur. Pendant le même voyage le noble génois Azzalino m’offrit une haquenée (ce que les Anglais appellent dans leur langue obin). Par discrétion je me gardai d’accepter, bien qu’à mon sens on ne pût rien souhaiter de plus beau ou de plus remarquable : elle était toute blanche et de belles proportions. Il avait deux chevaux parfaitement semblables, et il me donnait le choix.

L’année (141) suivante, je reçus des offres du prince Don Ferrante (comme on l’appelait d’habitude) : j’aurais eu trente mille écus si j’avais servi, ma vie durant, son frère le duc de Mantoue ; dès le premier jour on m’aurait versé mille écus[1]. Je ne jugeai pas à propos d’accepter. Don Ferrante s’en étonna et fut fâché ; il y était d’autant plus enclin qu’il m’avait pressenti pour une affaire, honorable selon lui mais non pour moi, et comme les exhortations n’avaient pas eu d’effet, il était passé aux menaces. Il comprit enfin pourquoi, à la façon de l’hermine, je préférais la mort à une souillure et, de ce jour, il m’aima davantage suivant l’habitude des âmes généreuses. En 1552, comme je l’ai dit, j’eus une sixième proposition très large du vice-roi Brissac, faite surtout sur le conseil de Louis Birague, notre illustre concitoyen. Les autres me recherchaient comme médecin, Brissac comme ingénieur.

  1. Plus haut, il dit exactement le duc de Mantoue son neveu. chap. IV, note 10.