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pouvait indiquer les maisons où on en parlait. » À cette lecture je restai stupide ; je ne pouvais croire que cette lettre fût de lui, un ami et un homme raisonnable. J’avais encore présente à la mémoire la lettre que je croyais de mon gendre. Maintenant, je suis convaincu qu’elle ne fut jamais de lui et qu’il n’a jamais eu d’idée semblable puisque, depuis lors jusqu’à ce jour, que nous ayons été en bons termes ou fâchés, il m’a toujours respecté et n’a laissé paraître la moindre trace d’une si mauvaise et si absurde opinion. Et puis, si même il l’avait cru, en homme prudent, il se serait gardé d’envoyer une lettre exposée à tomber entre beaucoup de mains, pour reprocher à son beau-père un crime au moins douteux, mais si repoussant, si honteux et qui pouvait nuire à sa propre réputation.

Aussitôt je demande un vêtement, je vais chez Fioravanti et je l’interroge sur la lettre : il avoue qu’elle est de lui. J’étais de plus en plus stupéfait ; car je ne soupçonnais pas la machination, je n’y pensais même pas. Je me mis à discuter et à lui demander où se tenaient ces fameux propos. Là il commença à hésiter sans savoir (120) que dire ; il n’invoquait que la rumeur publique et les racontars du recteur de l’Académie, qui était l’homme de Delfino. Quand il vit que la conséquence de cette affaire était de le mettre en sérieux danger plutôt que m’exposer au soupçon de ce crime, il changea de résolution et céda ; quoique simple, comme je l’ai dit, il voyait la gravité de ce qu’il avait fait. De ce jour tout cessa et leurs inventions s’écroulèrent. Je vais dire, comme je l’ai appris plus tard, dans quelles conditions la chose avait été préparée : le loup et le renard avaient persuadé à cette bonne bête[1] que le Sénat avait décidé de lui accorder, quand je ne serais plus là, la deuxième chaire de médecine ; car la première, c’était mon compétiteur qui se la réservait, en vertu d’une coutume de succession depuis longtemps établie ; le renardeau occuperait la place de Fioravanti. Mais il ne devait pas en être ainsi, comme l’événement le montra ensuite.

Le premier acte de la tragédie achevé, commence le second, qui éclaire le précédent. Avant tout, on prit soin que cet homme (qui faisait rougir sa famille, sa patrie, le Sénat, les Collèges de Milan et de Pavie, le corps des professeurs et jusqu’aux élèves) (121) entrât à l’Accademia degli Affidati de Pavie, où figuraient plusieurs théologiens distingués, deux cardinaux à ce qu’on disait, deux princes, le duc de Mantoue et le marquis de Pescara. Et, voyant que je ne m’y laissais

  1. Des rapprochements entre les diverses parties du récit on peut supposer que le loup est Delfino, le renard Zaffiro, le mouton ou la bonne bête étant clairement Fioravanti.