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(117) Quant aux embûches dont le but était ma mort, je vais en raconter d’étonnantes. Aussi soyez attentif, car l’histoire en est rare.

J’enseignais alors à Pavie et je lisais chez moi. J’avais auprès de moi une servante de hasard, le jeune Ercole Visconti, deux jeunes domestiques et un valet. Des deux domestiques, l’un me servait de secrétaire et de musicien, l’autre de laquais. C’était l’année 1562, où j’avais décidé de partir de Pavie et d’abandonner mon enseignement, décision que le Sénat acceptait difficilement, comme si elle avait été prise sous le coup de la colère. Il y avait là deux docteurs : l’un, homme habile, avait été autrefois mon disciple ; l’autre, simple et, je pense, sans méchanceté, était chargé d’un enseignement extraordinaire de la médecine. Il était d’ailleurs bâtard. Mais que ne peut le désir des honneurs et des richesses, surtout quand il s’unit aux connaissances scientifiques ! Mes rivaux, dont tous les soins tendaient à me faire quitter la cité, étaient disposés à tout, semblait-il, pour réaliser ce vœu. Aussi, désespérant de parvenir à me chasser à cause du Sénat et bien que j’eusse demandé mon congé, ils conçurent le dessein de me tuer, non par le fer, à cause de l’infamie (118) et de la crainte du Sénat, mais par la ruse ; car mon compétiteur comprenait qu’il ne pourrait être nommé premier professeur si je ne partais pas. Ils prirent les choses de loin. D’abord ils fabriquèrent sous le nom de mon gendre, et même sous celui de ma fille, une lettre absolument honteuse et dégoûtante : « ils rougissaient de leur parenté avec moi ; le Sénat, le Collège des médecins éprouvaient une égale honte la chose allait si loin qu’on me jugeait indigne d’enseigner et qu’on pensait à m’éloigner de ma chaire. » Frappé de si impudents et audacieux reproches de la part des miens, je ne savais que faire, que dire, que répondre ; et je ne pouvais m’expliquer à quoi cela tendait. Maintenant, il est clair qu’un acte aussi éhonté et cruel avait la même origine que les autres qui furent tramés par la suite. En effet, peu de jours après, on m’apporta une lettre signée de Fioravanti, conçue dans ce sens : « Il avait honte pour notre patrie, pour le Collège, pour le corps des professeurs, du bruit qui se répandait que j’abusais des enfants, qu’un seul ne me suffisait pas si, chose absolument inouïe, je n’y en joignais un second ; il me demandait au nom de tous mes amis de prendre des précautions contre l’infamie publique ; il n’était bruit que de cela dans Pavie, (119) et il