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Enfant, j’avais onze ans sauf erreur, j’entrai dans la cour du noble Donato Carcani : un petit chien au poil souple me mordit (111) au ventre et me fit cinq blessures, mais sans gravité quoique les plaies eussent noirci. Je ne dirai rien là dessus, sauf qu’il fut très heureux pour moi de ne pas connaître le danger de la rage. Plus tard, ce que le mal n’avait pas produit, la peur l’aurait fait.

En 1525, l’année de mon rectorat, je faillis me noyer dans le lac de Garde. Avec des chevaux de louage je m’étais embarqué à contrecœur. Le grand mât, le gouvernail et une des deux rames se brisèrent ; la voile du second mât se déchira aussi. La nuit était survenue. Je pus me sauver à Sirmione quand les autres n’avaient plus d’espoir et moi fort peu. Si l’entrée au port avait été retardée, ne fût-ce que de la quarantième partie d’une heure, nous aurions péri ; car la tempête arriva avec tant de force qu’elle tordit les barres de fer aux fenêtres de l’auberge. Quant à moi qui, au début, avais paru effrayé, je dînai content quand on servit un gros brochet. Il n’en fut pas de même des autres, à l’exception de celui dont les conseils avaient provoqué cette erreur, mais qui avait ensuite montré une courageuse activité dans le danger.

Me trouvant à Venise le jour de la Nativité de la Vierge[1]. j’avais perdu de l’argent au jeu. Le lendemain je perdis ce qui me restait. J’étais dans la maison de mon partenaire ; et quand je m’aperçus que les cartes étaient truquées, je tirai mon poignard et le blessai (112) au visage, mais légèrement, en présence de deux jeunes gens, ses serviteurs. Deux lances étaient suspendues au plafond, la porte de la maison fermée à clef. Je me saisis de tout l’argent, aussi bien du sien que du mien ; mes vêtements et mes bagues, que j’avais perdus la veille, je les avais regagnés au début de cette séance et déjà renvoyés chez moi par mon valet. Je rejetai de mon gré une partie de l’argent et je m’élançai sur les domestiques qui ne pouvaient tirer les armes. À leurs supplications, je leur accordai la vie sauve à condition qu’ils m’ouvriraient la porte de la maison. Dans un tel trouble et une telle confusion, considérant que tout retard pourrait être dangereux parce que (je pense) il m’avait attiré chez lui pour tricher avec des cartes faussées, et jugeant que la différence n’était pas grande entre le gain et la perte, leur maître ordonna de m’ouvrir la porte, et je sortis. Le même jour, tâchant d’esquiver les dangers qui pouvaient me venir de la police à cause de la blessure faite à un Sénateur,

  1. Le 8 septembre 1526. Liber XII Genitur. ex. (V, 521).