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Je pus y voir Oronce Finé ; mais lui refusa de venir chez moi. Je vis sous la conduite de Magny[1] le trésor du roi de France, dans l’église Saint-Denis ; il ne mérite pas sa réputation, mais est plus important que je ne pensais, surtout à cause d’une corne entière de Licorne[2]. Puis je rencontrai les médecins du roi ; nous dinâmes ensemble, mais ils ne purent obtenir de m’entendre après le repas, parce qu’ils avaient voulu que je parle le premier avant le dîner[3]. Je partis de Paris en assez bons termes avec Fernel, Sylvius et un autre médecin du roi que j’y laissai. Je passai à Boulogne d’où, escorté de quatorze cavaliers armés et de vingt fantassins, selon la volonté du prince de Sarepont, je parvins à Calais où je vis la tour de César encore debout. Je traversai le détroit, j’entrai à Londres et, enfin, le 29 juin j’arrivai auprès de l’archevêque à Édimbourg. J’y restai jusqu’au 13 septembre[4] et je reçus quatre cents autres écus d’or, un collier de cent vingt-cinq écus, (107) un genet magnifique et beaucoup d’autres cadeaux ; personne ne revint les mains vides. Je retournai par le Brabant et la Flandre, visitant Gravelines, Anvers, Bruges, Gand, Bruxelles, Louvain, Malines, Lierre, Aix-la-Chapelle, Cologne, Coblentz, Clèves, Andernach, Mayence, Worms, Spire, Strasbourg, Bâle, Neustadt, Berne, Besançon, et dans les Grisons les villes de Coire et de Chiavenna[5] ; enfin, par le lac de Côme, je rentrai à Milan le 30 décembre 1552.

Parmi toutes ces villes, je n’ai séjourné qu’à Anvers, Bâle et Besançon. Les Anversois mettaient tous leurs soins à me retenir. À Londres j’eus audience du roi de qui je reçus cent écus d’or ; j’en refusai cinq cents — d’autres disent jusqu’à mille, je n’ai pu savoir la vérité, — parce qu’il m’aurait fallu lui donner un titre que je jugeai au préjudice du pape[6]. En Écosse, je devins le familier du prince d’Ussel, représentant du roi de France. À Bâle, si je n’avais été averti par Guglielmo Gratarolo, (108) peu s’en fallait que je ne fusse logé dans un lazaret de pestiférés. À Besançon, je fus bien accueilli par l’évêque de Lisieux, comme je l’ai rappelé ailleurs ; il me combla de cadeaux, ce qui m’arriva ailleurs aussi.

Ainsi, j’ai vécu quatre ans à Rome, neuf à Bologne, trois à Padoue, douze à Pavie ; à Moirago j’ai passé les quatre premières années de ma vie ; à Gallarate je suis resté un an, à Piove di Sacco presque six, à Milan trente-deux, ou peu s’en faut, en trois fois ; et pendant trois ans j’ai erré, pour ainsi dire.

  1. Cf. De rerum uarietate, XVII, 97 (III, 341) : Ioannes Manienus, medicus, uir egregius et mathematicorum studiosus… medicus monachorum beati Dionysii.
  2. La licorne fait l’objet d’un paragraphe du De subtilitate (trad. fr. 271 a) à la suite du rhinocéros dont elle diffère manifestement ! Elle « a une teste de cerf ou il y a une seule corne longue de trois doigts, au milieu du front, droite, ample en bas, tendante en pointe… et croit-on que sa corne est merveilleusement contraire au venin »
  3. Sa rencontre avec les médecins parisiens et la dispute sur les préséances qui s’y produisit sont racontées aussi dans De libris propriis (I, 93). C’est peut-être ce fait qui est à l’origine de l’anecdote racontée par Noël du Fail dans les Baliverneries et les contes d’Eutrapel (éd. Courbet, Paris, 1894, I, 194-195) Appelé en consultation avec Fernel, Charpentier et d’autres illustres médecins, Cardan conclut une savante et profonde discussion par ces simples mots : Ha bisogno d’un clistero, « laissant cette troupe médicinale mécontente au possible ».
  4. Voir encore chap. XL, n. 2. Le traitement imposé à l’archevêque est rapporté dans les Consilia medica ad varios morbos : Consilium XXII, De difficultate respirandi pro Reuerendissimo DD. Joanne Archiepiscopo Sancti Andreae… (IX, 123-152) ; Consilium LII, Ephemeris sine uitae ratio pro Reuerendissimo DD. Archiepiscopo Sancti Andreae… (IX, 225-230).
  5. Chiavenna, aujourd’hui en Lombardie où elle a été rattachée en 1797.
  6. Cardan passe ici sous silence l’horoscope qu’il dressa pour Édouard VI à qui il prédisait une longue vie prospère. La mort précoce du roi lui valut force railleries. Pour se disculper il invoqua des erreurs de calculs et « après avoir calculé une seconde fois, il trouva que ce prince avoit eu raison de mourir comme il avoit fait et qu’un moment plus tôt ou plus tard sa mort n’auroit pas été dans les règles ». Voir chap. XLII.