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extraordinaire. Je lui parlai même et je ne pouvais assez m’étonner de ne trouver dans un homme si fameux par ses ouvrages rien qui répondît à la haute réputation qu’il avait. C’est ce qui me fit admirer davantage la pénétration de Jules-César Scaliger. Car dans la critique que ce sublime esprit entreprit de l’ouvrage que Cardan intitule De Subtilitate, il a marqué avec une justesse merveilleuse toutes les inégalités de cet auteur. Ici c’est un génie divin, dans cet autre endroit il semble qu’il ait moins de sens qu’un enfant. Cardan travailla beaucoup sur l’arithmétique et y fit plusieurs découvertes. Il était d’ailleurs très versé dans l’astrologie judiciaire. Ses prédictions, dont l’événement parut souvent au-dessus de toutes les règles de l’art, infatuèrent bien des gens de cette espèce de science. Mais le comble de la folie ou plutôt de l’impiété fut de vouloir assujettir le créateur lui-même aux lois chimériques des astres. C’est pourtant ce que Cardan prétendit en tirant l’horoscope de Jésus-Christ. Il mourut âgé de 75 ans moins trois jours, l’an et le jour qu’il avoit prédit, c’est-à-dire le 21 septembre. On crut que pour ne pas en avoir le démenti il avança sa mort en refusant de prendre aucun aliment. Son corps fut mis en dépôt dans l’église de St-André et transporté ensuite à Milan où il fut enterré à St-Marc dans le tombeau de ses ancêtres. »

Négligeons l’étonnement de de Thou à ne point trouver le grand homme semblable à l’image qu’il s’en était faite, à ne point voir jaillir à chaque mot un trait de génie. Plus tard il devait être à son tour victime de la même illusion déçue : des visiteurs étrangers, allemands ou anglais, s’étonnaient de sa conversation et quaerebant Thuanum in Thuano[1]. Mais son témoignage est un reflet de l’opinion moyenne des contemporains et laisse percer un peu de la légende qui s’était constituée dès le vivant de Cardan pour se cristalliser à sa mort, supposée volontaire parce qu’il n’aurait point voulu décevoir encore une fois une science dont les prédictions étaient si souvent démenties.

La légende, Cardan était pour une large part responsable de sa naissance, par l’insistance avec laquelle il avait étalé les étrangetés de sa vie et de son caractère, par sa volonté bien affirmée de se présenter différent et isolé des autres. De tout cela il a donné un bon raccourci dans une page de ses exemples de nativités.

  1. Patiniana (2e éd. Amsterdam, 1703) p. 19.