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sayais de l’enlever ou d’en abuser secrètement, il ne manquerait pas d’espions pour le rapporter au père qui réside lui-même dans notre village ; un capitaine ne supporterait pas cette injure. Dans un cas comme dans l’autre, que me restera-t-il à faire ? Ô malheureux ! Si tout réussit, il me faut fuir. (98) Roulant ces pensées et d’autres semblables, il me vint à l’esprit qu’il valait mieux mourir que mener une vie pareille. De ce jour je commençai non pas à aimer, mais à brûler. Je compris, dans la mesure où je pouvais tirer une interprétation [de mon rêve], que j’étais désormais libre de cette entrave[1]. Je l’épousai consentante. Ses parents m’en priaient et m’offraient leur aide s’il en était besoin ; le père en effet pouvait beaucoup. Mais la signification du songe ne s’épuisa pas avec la jeune fille : elle montra sa force dans mes enfants. Ma femme vécut quinze ans avec moi. Pourtant cet infortuné mariage fut la cause de tous les malheurs qui m’arrivèrent au cours de ma vie[2]. Avaient-ils leur origine dans la volonté divine ou bien m’étaient-ils dus pour mes fautes ou celles de mes aïeux ? Quant à moi qui étais d’un naturel à peu près indomptable, je devais par la suite me montrer supérieur à toutes les adversités.


  1. À quelles entraves fait-il allusion ? Ce ne sont certes pas encore les liens du mariage. Plus probablement il faut penser aux obstacles à son mariage et peut-être à l’impuissance dont il souffrait depuis l’âge de vingt ans. Cf. dans le passage cité à la note 1 : quique mihi conscius eram ueneficii aut naturalis impotentiae… Mirum dictu, ut statim a gallinaceo factus sim gallus… et ce qui suit.
  2. Cardan s’est toujours exprimé avec amertume sur son mariage tout en rendant parfois justice à sa femme : uxorem animosam, peruicacem et indomitam… mitem et ingeniosam et mediocriter pulchram… fecundam masculorum. Abortinit tres masculos, duos perfecte partu et unam puellam edidit. (XII Genitur., V, 528). Elle mourut en 1546.