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XXIII

RÈGLES PRINCIPALES DE MA CONDUITE

Je crois n’avoir marqué de supériorité en rien plus que dans les règles que j’ai tirées de mon expérience ; (89) je le dois à la longueur de ma vie et au grand nombre de mes malheurs. En premier lieu, outre mes prières enfantines, dès que mon esprit commença à se développer, je pris l’habitude de rendre grâces à Dieu de ce qui m’arrivait, de favorable au moins ; et dans ce cas je jugerais l’ingratitude chose honteuse pour un homme — et peut-être même pour une bête. Quant aux revers, je pris les plus légers pour un avertissement de me tenir sur mes gardes : et combien de fois ces avertissements m’ont évité les plus grands malheurs ! Pour ceux de gravité médiocre, je sentais que je devais suivre la même conduite, parce que je ne crois pas important ce que le temps efface d’ordinaire et parce que je sais que Dieu est le dispensateur de toute adversité ; si même c’est en apparence nuisible pour moi, je ne doute point que ce ne soit excellent pour l’ordre universel. Ainsi, du moment que la mort est inévitable, le grand nombre des malheurs la rend plus légère. Comme le disait Paul d’Égine, les malades qui expulsent un gros calcul de la vessie sont, à cause des douleurs précédentes, moins sensibles à la souffrance que ceux qui rendent un plus petit ; et par suite ils meurent moins souvent. Dans les maux extrêmes je suis persuadé que Dieu s’est, pour ainsi dire, souvenu de moi ; (90) grâce à ce sentiment (chose étonnante !) j’ai éloigné la mort par la mort.

Ma deuxième règle particulière fut d’implorer la providence divine, d’invoquer dans mes écrits la vie du Dieu suprême, pour qu’il me fît connaître sa volonté puisqu’il est mon Dieu. Et quel bien et quel agrément j’en tirai ! Je fus préservé d’une triple infortune ; il m’accorda ses dons avant de me les ôter[1] ; il me mit à l’abri des ondes soulevées de la mer ; il me permit une vie paisible.

  1. Peut-être faut-il entendre : Il m’a donné un fils avant de me l’enlever.