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récompense reçue est royale, et sa curiosité intrépide trouve dans près d’un an de voyage un aliment toujours renouvelé.

Dans cette période, entre quarante et soixante ans, il donne l’essentiel de son œuvre : après la polémique médicale il est passé à l’arithmétique, dont un traité paru en 1539 attire sur lui l’attention des grands libraires allemands, les Petri, qui éditeront les principaux de ses ouvrages. Son traité d’algèbre, l’Ars Magna, plein de découvertes nouvelles, les siennes et celles d’autrui, provoque la colère de Tartaglia et déclenche une longue polémique. Ensuite se succèdent ses encyclopédies, le De Subtilitate (1550) que Scaliger essayera d’écraser sous une massive critique, plus volumineuse que l’œuvre originale, et que Cardan complète à son retour d’Écosse par le De rerum Varietate, et enfin ses Commentaires de Ptolémée où il expose les doctrines astrologiques en les éclairant par les exemples empruntés à sa pratique. Quelques échecs retentissants — son horoscope d’Édouard VI par exemple — ne le découragent ni le démontent.

Il est maintenant à l’apogée de sa fortune : célèbre, heureux dans ses cures, recherché de ses compatriotes comme des étrangers qui viennent en foule auprès de lui, il retourne encore une fois à Pavie où la destinée semble l’accabler. Son fils aîné, mal marié, tente d’empoisonner sa femme et, condamné à mort, est exécuté le 10 avril 1560. Le cadet, joueur, débauché, vagabond, l’afflige par ses vices et le terrorise par ses menaces. Ses collègues, jaloux, s’acharnent à lui nuire. Son esprit se trouble ; il voit partout des embûches, en tous des ennemis. Cette névrose grandit de plus en plus et empoisonne ses jours.

Pour fuir Pavie, il demande au cardinal Charles Borromée de l’appuyer à l’université de Bologne. Sa candidature soulève des oppositions résolues. Il faut toute l’autorité, tout l’entêtement du légat pour en venir à bout. Sa présence ensuite triomphe des préventions et Bologne pendant quelques années l’honore et l’admire.

Mais l’air était étrangement vicié dans cette ville pontificale : l’Inquisition y déployait plus qu’ailleurs une activité soupçonneuse qui s’insinuait jusque dans l’intimité, et elle apportait à défendre la religion contre les moindres atteintes une vigueur effrayante. Pour y vivre en paix il fallait de la prudence et de la souplesse : la première qualité, à tout le moins, manquait à Cardan. Ses propos qu’il ne surveillait pas toujours, semble-t-il, prêtaient à des interprétations que son œuvre