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Je suis trop prompt à délibérer, par suite précipité dans mes décisions, et en toute affaire impatient des retards. L’ayant observé, mes rivaux, qui me jugent difficile à prendre quand j’ai le temps, ne font que me presser. Mais c’est moi qui (62) les prends sur le fait, je m’en garde comme de rivaux et je pense que je dois les considérer comme ennemis (puisqu’ils le sont).

Si je n’avais pas pris l’habitude de ne regretter rien de ce que j’ai fait volontairement, fût-ce avec mauvais succès, j’aurais vraiment vécu malheureux ; mais presque toujours la cause de mes maux fut l’extrême sottise de mes fils, accompagnée de honte, et la négligence de mes proches, jaloux de leur parenté, vice particulier de la famille, bien qu’il soit assez commun dans les petites villes.

Je me suis adonné sans mesure dès mon adolescence au jeu d’échecs ; par lui je connus le prince Francesco Sforza et je m’acquis l’amitié de beaucoup de nobles. Mais, en m’y étant occupé de longues années — presque quarante ans, — je ne saurais dire combien j’y ai souffert de pertes dans mes biens sans profit d’aucune sorte. Les dés me furent encore plus funestes ; car je les enseignai à mes fils et j’ouvris souvent ma maison aux joueurs. Il ne me reste qu’une mince excuse de cette conduite : la pauvreté de ma naissance et le fait que je ne manquais pas d’une certaine adresse. C’est une habitude commune aux mortels ; mais les uns ne veulent pas que ce soit dit ; les autres (63) ne le souffrent même pas : en sont-ils meilleurs ou plus sages ? Si quelqu’un, s’adressant aux Rois, leur disait : Il n’est personne de vous qui ne se soit nourri de poux, de mouches, de punaises, de vermisseaux, de puces et des excréments encore plus dégoûtants de vos serviteurs, de quelle âme recevrait-on ces paroles, bien qu’elles fussent très vraies ? Est-ce autre chose que l’ignorance de notre condition, de refuser de savoir ce que nous savons, et de vouloir contraindre la réalité ? Ainsi de nos péchés et du reste ; tout cela est repoussant, vain, confus, changeant et caduc comme des fruits gâtés sur un arbre. Je n’ai donc rien apporté de nouveau, j’ai mis la vérité à nu.