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de justice, attaché aux miens et dédaigneux de l’argent. J’aspire à la gloire après ma mort ; je méprise les choses médiocres et encore plus les petites ; mais sachant combien les moindres circonstances sont importantes dans les débuts, j’ai l’habitude de ne mépriser aucune occasion.

(58) Naturellement enclin à tous les vices et à tout mal, sauf l’ambition, je reconnais mon incapacité plus que tout autre. Du reste, par respect pour Dieu, et connaissant la vanité de tout cela, je néglige volontairement les occasions offertes de me venger. Timide et le cœur froid, le cerveau chaud, je suis adonné à une continuelle méditation, roulant en foule dans mon esprit les plus grandes pensées, même irréalisables. Je puis appliquer simultanément mon esprit à deux affaires. Ceux qui opposent à ma gloire la verbosité et le manque de mesure me reprochent des défauts qui me sont étrangers. Je me défends, mais je n’attaque personne. Pourquoi, en effet, irais-je me mettre en peine pour si peu quand j’ai si souvent témoigné de la vanité de cette vie ? D’une excuse ils font une louange, tant ils jugent difficile de ne pas être criminel.

J’ai exercé mon visage à toujours exprimer le contraire de mon sentiment. Aussi puis-je simuler, mais je ne sais dissimuler ; c’est chose facile, comparée à l’art de ne rien espérer que j’ai acquis au prix de quinze ans des plus grands efforts.

Ainsi je vais quelquefois déguenillé, d’autres fois richement vêtu, silencieux ou bavard, (59) joyeux ou triste : et par là toutes mes attitudes sont doublées. Durant ma jeunesse, je soignais peu et rarement ma tête dans mon désir de m’appliquer à des objets plus importants. Ma démarche est inégale, tour à tour lente et rapide. Chez moi, j’ai les jambes nues jusqu’aux pieds.

Peu pieux, sans retenue dans mon langage, emporté à en avoir honte et ennui, je me suis repenti et de plus j’ai durement payé (je l’ai dit) toutes mes fautes, comme les hontes de la vie sardanapalesque que j’ai menée en l’année de mon rectorat à Pavie. C’est une gloire dans l’infamie et une vertu dans le crime, que d’avoir sagement et patiemment supporté la peine et corrigé le mal.

La nécessité sera mon excuse d’avoir ainsi parlé ; car si je voulais passer sous silence les dons de Dieu, je serais un ingrat, comme si je racontais les dommages subis en taisant les conditions de mon exis-