Page:Cameron - A travers l'Afrique, 1881.pdf/502

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’être question que nous avions rencontré le premier de ces colosses.

J’étais tellement épuisé, qu’il me fut impossible de profiter de l’occasion qui s’offrait à nous de prendre un bain, occasion que mes hommes saisirent avec empressement.

À peine étions-nous établis, que nous fûmes entourés d’un petit cercle d’indigènes des deux sexes. Je fus surpris du peu de prétention qu’avaient ces gens-là à paraître civilisés, étant tout près de la côte. Une petite draperie crasseuse autour des hanches et une masse de rangs de perles autour du cou — un rouleau du volume d’un traversin — formaient tout leur costume. Une femme y avait ajouté un petit carré d’étoffe, dans le but de se cacher la poitrine, et l’avait fait en pure perte. Je tâchai de persuader aux curieuses du groupe de me donner du lait en échange de l’étoffe que j’avais soigneusement gardée jusque-là ; mais elles méprisèrent ce peu de cotonnade, et il me fallut en emprunter à Méridjâni, pour me procurer une pinte de lait absolument aigre ; nulle part on ne peut avoir de lait doux.

Le lendemain, à quatre heures et demie, nous étions en route : peu de temps après nous croisions des caravanes qui allaient partir, et le mystère des boîtes vides me fut expliqué : elles servaient de tambour, ou pour mieux dire de timbales. La diane bruyante que l’on sonnait en frappant dessus, prouvait qu’elles remplissaient parfaitement leur office.

Gravissant des pentes rocheuses, pentes abruptes, déchirées par des ruisseaux et des ravins aux flancs presque droits, puis les escarpements d’un sentier fait d’une série de marches croulantes, nous arrivâmes au sommet de la chaîne. Quelle était cette ligne qu’on voyait au loin se détacher sur le ciel ? Nous regardions tous avec une étrange anxiété, mélange de crainte et d’espoir.

Plus de doute : c’était la mer. Xénophon et ses Dix mille ne l’ont pas saluée avec plus de bonheur que nous ne le fîmes alors, moi et ma poignée d’hommes exténués.

Irais-je jusque-là ? Je me soutenais à peine ; si la tête et les jambes me faisaient moins souffrir, le dos me causait des douleurs intolérables. À chaque pas, je craignais de m’affaisser et d’être obligé d’attendre qu’on vînt à mon aide. Mais je pensais à mes pauvres compagnons, à ceux qui n’avaient d’autre espoir qu’en moi ; et je restais debout.