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gourdes, toute la liqueur fut absorbée sans résultat fâcheux.

Vint ensuite l’échange des présents. Mona Pého m’offrit quelques poignées de farine et un cochon tellement malade, qu’il expira séance tenante.

S’excusant de n’avoir pas plus de nourriture à me donner, il y ajouta de la cotonnade pour que je pusse acheter des vivres. À mon tour, j’essayai de le satisfaire en lui offrant un vieux costume de flanelle ; et quand son étoffe eut payé les quelques rations que je procurai à mes gens, il ne me resta plus rien.

Mona Pého voulait avoir un esclave auquel Alvez tenait beaucoup, ayant, disait-il, la certitude de le vendre à Benguéla cinquante ou soixante dollars. Il en résulta une dispute qui dura toute la journée suivante et qui se termina par l’abandon de l’esclave à Pého.

Pendant que nous étions là, il vint au camp un homme entièrement vêtu d’un filet de fabrique indigène. Tout le costume était rayé horizontalement de blanc et de noir ; toutes les pièces en étaient collantes. Pas un point du personnage qui ne fût couvert : les gants et les chaussures étaient fixés, par un lacet, aux jambières et aux manches ; le joint de la cotte et du pantalon était caché par un juponnet de tissu d’herbe. Enfin, un masque en bois sculpté et peint, masque de vieillard avec d’énormes lunettes, et un morceau de fourrure grise formant perruque, ne laissaient rien voir de la figure et des cheveux.

L’arrivant tenait d’une main un grand bâton, de l’autre une clochette qu’il agitait sans cesse. Il était suivi d’un enfant, porteur d’un sac destiné à recevoir les aumônes.

À mes questions touchant ce singulier personnage, il fut répondu que c’était un faux diable qui avait pour mission de chasser les mauvais esprits de la forêt.

Les démons sylvains du Kibokoué passent pour être aussi nombreux que puissants ; chacun d’eux a sa propre demeure, un canton dont il est si jaloux que, dès qu’il y rencontre un de ses pareils, il quitte la place et va chercher un autre domaine. On comprend dès lors que le faux diable ressemblant à s’y méprendre aux vrais démons, il lui suffise de se montrer dans le canton possédé pour en chasser le malin.

Celui qui rend un pareil service est naturellement bien payé de sa peine, et comme il est en même temps le féticheur de la commune, l’exorciste mène une vie confortable.