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Tous mes fonds consistaient maintenant en deux vionngouas et en une douzaine de paniers de petit poisson.

Que ce dernier article puisse être employé comme aliment est chose étonnante ; car, emballé à moitié sec, par quantité de quarante à cinquante livres, il ne tarde pas à pourrir. Tout le monde le jugerait impropre à l’alimentation de l’homme ; cependant les gens du pays le mangent avec plaisir, et paraissent s’en bien trouver[1].

L’art de tromper l’acheteur est parfaitement compris des indigènes : au milieu de mes paniers, j’ai trouvé de la terre, des pierres, des fragments de poterie et de gourdes, destinés à compléter le poids et la masse. Autant que j’ai pu en juger, le noble sauvage ne le cède pas au civilisé en matière de fraude ; la maladresse des procédés fait toute la différence.

De chez Katenndé, les étapes se succédèrent sans interruption jusqu’au 7 du mois de septembre, où nous atteignîmes le village de Cha Kélemmbé, chef du dernier district du Lovalé. Pour arriver là, nous avions d’abord traversé d’immenses plaines, sillonnées de cours d’eau lisérés d’arbres, plaines inondées pendant la mousson ; puis nous étions entrés dans un pays plus boisé, et accidenté de petites collines.

Ce fut au village de Cha Kélemmbé que nous vîmes pour la première fois le Loumédji, belle rivière de cinquante yards de large et de plus de dix pieds de profondeur, qui traverse, d’un cours rapide et tortueux, une grande vallée flanquée sur les deux rives de collines couvertes de bois.

Dans cette partie de la route, les indigènes venaient nous trouver en toute confiance. Ils s’installaient, tambourinaient, dansaient, chantaient toute la nuit, ce qui, naturellement, nous empêchait de dormir ; et le matin arrivé, ajoutant l’ironie au préjudice, ils réclamaient le prix de leur malencontreuse sérénade. Leurs prétentions toutefois n’avaient rien d’exorbitant : une poignée de notre fretin gâté suffisait à leurs désirs.

  1. « Le goût de ce poisson, dit Livingstone, est piquant et amer, avec quelque chose d’aromatique ; mes hommes, qui n’avaient jamais vu ce fretin séché, en mangèrent avidement. » Pour la plupart des Africains de la zone équatoriale, la viande ou le poisson n’est jamais trop faisandé ; l’un ou l’autre s’emploie alors pour relever la bouillie de manioc, qui autrement serait fade, et qui a besoin d’un mélange azoté pour n’être pas nuisible. Peut-être un homme du Kibokoué ou du Manyéma se demanderait-il comment certains de nos fromages peuvent être mangés avec plaisir par les hommes blancs et après les délicatesses de l’entremets. (Note du traducteur.)