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font macérer les cadavres dans l’eau vive, jusqu’à ce que les chairs soient presque putréfiées, et les dévorent sans plus de préparation. Même procédé à l’égard des animaux : toute charogne leur est pâture ; ce qui leur fait contracter une odeur révoltante.

Je fus régalé d’un chant qui vantait les jouissances du cannibalisme ; il y était dit que la chair de l’homme est bonne, que celle de la femme est mauvaise, et qu’on ne doit y recourir que lorsque les vivres sont rares ; mais qu’elle n’est pas à mépriser quand l’homme fait défaut.

Nous fûmes retenus chez Moéné Bougga pendant deux jours par une indisposition de Mouinyi Hassani. Le pauvre Bokhari était fort malade et fut informé de la résolution qu’on avait prise de le laisser là, à moins qu’il ne consentit à donner un peu de ses cauris et de ses grains de verre pour se faire porter. J’essayai de le guérir, mais mon traitement n’eut aucun succès.

En quittant la résidence de Bougga, la route nous fit passer près de nombreux villages, puis franchir par une brèche une rangée de collines couvertes d’arbres énormes, pareils à ceux du versant nord des montagnes de Bammbarré.

Il y eut là une vive alerte, dont je fus la cause bien innocente. Je marchais tranquillement au milieu de la caravane ; les pigeons abondaient ; je crus pouvoir profiter de l’occasion pour me procurer à souper. Mais, au premier coup de feu, un tumulte effroyable se produisit dans toute la bande : de l’avant et de l’arrière on se précipita vers moi, chacun demandant pourquoi j’avais tiré, et disant que dans le Manyéma on ne devait décharger son fusil que pour défendre la caravane. Mon ignorance de cette règle les avait frappés de terreur.

Toutefois nous atteignîmes sans encombre le village d’un autre Moéné Bôoté, chef du bac de la Louama. Nous y restâmes deux jours à débattre le prix du passage, et parce qu’Hassani était trop paresseux pour continuer la marche.