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fice du premier, d’autant plus qu’il m’avait emprunté les perles dont il fit présent, et qu’il oublia de me les rendre. Ensuite, Pakoua exécuta un air sur son harmonium ; puis il fut procédé à la fraternisation.

Le premier notable de la province était parrain du chef ; un de mes soldats remplissait le même office auprès de Saïd. Lorsque Pakoua eut joué son air, on pratiqua au poignet de chacun des présentés une légère incision, juste suffisante pour obtenir un peu de sang qui fut recueilli chez l’un, puis déposé sur la coupure de l’autre, où une friction l’introduisit, et réciproquement.

L’échange du sang ayant eu lieu, le parrain du chef plaça sur l’épaule de celui-ci la pointe d’une épée qu’il tenait à la main. Sur cette épée, le parrain de Saïd aiguisa un couteau ; en même temps, l’un et l’autre appelèrent sur Pakouanaïhoua et sur tous les membres de sa famille, passés, présents et futurs, les malédictions les plus véhémentes, si jamais il lui arrivait de briser en action, en parole ou en pensée le lien qu’il contractait, demandant que, en pareil cas, sa tombe et celle de chacun de ses parents fussent souillées par les pourceaux. La même formalité s’accomplit à l’égard de Saïd ; dès lors rien ne manqua au pacte fraternel et nous nous retirâmes.

Cette coutume de s’unir à des étrangers par des liens fraternels est, je crois, d’origine sémitique ; elle a dû être apportée chez les Africains par les Arabes idolâtres, qui bien avant Mahomet venaient trafiquer sur la côte orientale. Pour moi, cette idée est confirmée par le fait qu’à l’époque où les traitants de Zanzibar traversèrent le Tanganyika pour la première fois, l’usage de la fraternisation était inconnu à l’ouest du lac.

Ce que j’ai appelé l’harmonium de Pakouanaïhoua, à défaut d’un meilleur terme, se composait d’une planche à laquelle était attaché un certain nombre de tiges de fer, différant entre elles de longueur et de largeur. Ces touches vibrantes, derrière lesquelles était placée une gourde faisant l’office de table d’harmonie, étaient mises en jeu par les pouces. Un artiste habile peut tirer de cet instrument des sons agréables, d’une assez grande sonorité. Les indigènes appellent ce clavier kinannda ; mais ils nomment ainsi presque tous les instruments de musique.

Je trouve dans mon journal le passage suivant sur Mme Pakouanaïhoua : « La femme du chef est de belle humeur et de ma-