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Tandis que je faisais mon inspection, la pluie tombait avec une telle violence qu’en un instant les bateaux furent remplis. Je réveillai mes hommes et regagnai mon gîte, à l’arrière de la Betsy, où m’attendait un douloureux spectacle : la couverture de la cabine avait été emportée ; mon lit, mes cartes, mes livres, mes fusils étaient dans l’eau.

Après avoir fait la revue de ces ruines, je réunis sous mon waterproof tout ce que je pus y mettre, je plaçai ma tête entre mes genoux et restai là comme une poule sur sa couvée de poussins.

L’orage était effrayant. Un éclair frappa l’eau à côté de moi et fut si promptement suivi du coup que l’un et l’autre me parurent simultanés. La commotion fut telle que je crus avoir été touché par la foudre ; l’éclat m’avait ébloui au point qu’il se passa une demi-heure avant que j’eusse recouvré la vue.

Le jour parut, il nous trouva dans une situation peu confortable. Mes gens refusaient de partir sous prétexte d’une petite houle. Toutefois, dans l’après-midi, la nage fut reprise, et côtoyant des montagnes d’où tombaient de nombreux torrents, nous gagnâmes le Loubougoué, rivière où nous fîmes halte.

Repartis de bonne heure, et passant devant l’île de Kililo, puis croisant l’embouchure du Loufoungou, nous atteignîmes le cap Katimmba, où je m’arrêtai avec l’intention de reprendre la marche dans l’après-midi, si le temps s’éclaircissait. Mais une légère houle effraya de nouveau mes loups de mer : « Lac méchant, canots brisés, » s’écriaient-ils ; et il n’y eut pas moyen de leur persuader de reprendre les rames. Même les Vouadjidji, nés au bord du Tanganyika, me rapportèrent la paye qu’ils avaient reçue, me disant : « Laissez-nous nous en aller, nous ne voulons pas mourir. »

Que n’aurais-je pas donné pour avoir la chaloupe d’un vaisseau de guerre et son équipage ! Au lieu de me traîner d’une baie à l’autre en en suivant les rives, j’aurais pu traverser le lac, en explorer le centre, faire quelque chose de satisfaisant. Tous les dangers que nous courions venaient justement de cette habitude de longer la côte, au point d’en effleurer les rocs Venaient-ils à se rapprocher du large, mes gens regagnaient vite le rivage. C’est leur pusillanimité qui les met en péril ; l’observation le prouve : les lâches courent plus de risques et ont plus de malheur que ceux qui affrontent virilement le danger.

Le 28, nous passâmes entre la terre ferme et l’île de Kabogo, où