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Après lui, comme importance, venaient Mouinyi Héri, natif de la Mrima et riche traitant, qui pendant mon séjour épousa la fille du mtémé ; puis Hassani et son frère, Mohammed Ibn Ghérib, un ami de Livingstone, auquel il avait rendu maint service et dont il avait reçu un fusil en témoignage d’affection.

Ceux-ci étaient les notables. Il y avait ensuite Abdallah Ibn Habid ; Saïd Mézroui, un métis qui avait fait banqueroute, et les agents de divers Arabes ; enfin des charpentiers, des forgerons, des fabricants de sandales.

Mais revenons à mon projet de croisière. Il fallait d’abord me procurer un bateau ; les propriétaires d’embarcations dont m’avait parlé Ibn Sélim, le gouverneur de l’Ounyanyemmbé, étaient absents, il fallait chercher ailleurs ; je trouvai une barque chez Saïd Ibn Habid, qui lui-même était en voyage ; et ce fut avec son agent que je traitai l’affaire, celle-ci fut assez amusante.

L’homme de Saïd voulait être payé en ivoire, je n’en avais pas. On vint me dire que Mohammed Ibn Sélib avait de l’ivoire et désirait de l’étoffe ; comme je n’avais ni l’un ni l’autre, cela ne m’avançait pas beaucoup. Mais Ibn Ghérib, qui avait de l’étoffe, manquait de fil métallique, dont j’étais largement pourvu. Je donnai à Ibn Ghérib le montant de la somme en fil de cuivre ; il me paya en étoffe, que je passai à Ibn Sélib ; celui-ci en donna l’équivalent en ivoire à l’agent de Saïd, et j’eus la barque.

D’après nos conventions, elle devait m’être livrée prête à partir ; elle prenait l’eau, il fallut la calfater, ce qui est une besogne ennuyeuse.

Une voile m’avait été promise ; je l’attendais, et ne vis apparaître que deux loques, prétendues suffisantes pour toute espèce de navigation. Non content d’avoir reçu pour loyer le prix de deux ou trois canots en bon état, l’agent cherchait à me duper sur tous les accessoires.

À l’impudence de qualifier ses guenilles du nom de voile, le fourbe ajouta l’affirmation que les rames n’étaient pas comprises dans le marché, et que je devais payer pour les avoir.

J’en appelai à Mohammed ; il décida en ma faveur dans la question des rames, et contre moi dans celle de la voilure.

Dès lors, je me mis à tailler et à coudre une voile latine qui effraya tout le monde par ses dimensions : on les disait énormes ; mais la barque était lourde, elle avait besoin d’une grande voile, et je ne diminuai pas la mienne.