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de nous apporter des vivres, tant que les vingt-deux dotis ne seraient pas payés.

Dans le village se trouvaient beaucoup de gens de Mirammbo ; ils me dirent gracieusement qu’ils nous auraient attaqués, si nous avions été des Arabes, mais qu’en ma qualité d’Anglais je n’avais rien à craindre : ils savaient que je ne venais pas pour faire des esclaves. Je soupçonne très fort que ce n’était pas là le motif de leur réserve ; car Mirammbo n’était pas moins esclavagiste que les Arabes. Je suppose qu’ils avaient entendu parler de nos fusils et que, n’étant pas assez forts pour nous piller, ils avaient trouvé convenable de faire les généreux.

Le chef se montra un curieux personnage, tantôt nous donnant la permission d’acheter des vivres, tantôt nous la retirant, pour nous la rendre l’instant d’après. Au bout de deux jours, ayant mis à profit les moments où la permission nous était accordée, nous avions du grain en quantité suffisante et nous nous remîmes en route.

La pluie était alors d’une extrême abondance ; elle tombait. parfois avec un tel bruit de cataracte qu’il devenait impossible de dormir. C’est évidemment pendant une de ces averses que la note suivante fut écrite dans mon journal : « Éclairs et tonnerre. Je suis éveillé, écoutant la pluie. Si le vieux Tanganyika reçoit tout ce déluge, il doit nécessairement crever quelque part. »

La dernière marche s’était faite dans une contrée absolument plate ; celle du jour suivant qui nous conduisit au village de Liohoua, chef de l’Ougara occidental, fut toute différente ; d’abord quelques plis de terrain, puis un pays ondulé, où chaque dépression renfermait un marais qui, sauf l’étendue, excédait par sa fange noire, profonde et tenace, toutes les horreurs de la Makata.

Sur la route, toujours des ruines. Voir les débris de tant de villages, naguère habités par des gens heureux, me jetait dans une tristesse inexprimable. Où étaient ceux qui avaient bâti ces cases, cultivé ces champs ? Ils avaient été saisis comme esclaves, massacrés par des bandits engagés dans une lutte à laquelle ces malheureux n’avaient pris aucune part, ou morts de faim et de fatigue dans les jungles.

L’Afrique perd son sang par tous les pores. Un pays fertile qui ne demande que du travail pour devenir l’un des plus grands producteurs du monde voit ses habitants, déjà trop rares, dé-