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JOURNÉE I, SCÈNE II.

la duchesse.

Vous êtes ma cousine et mon amie, Laura, vous avez de la prudence et de l’esprit, je vous confie mon honneur et mes secrets sentiments. Faites comme vous l’entendrez, et je lâcherai d’égaler la reconnaissance au service.

Elle sort.
laura[1].

Dieu me protège ! Que de choses se présentent à la fois à ma pensée ! et si pressées, si mêlées, que je ne saurais de laquelle m’occuper d’abord… Mais pourquoi m’affliger ? Il vaut bien mieux ne pas penser à tout cela et me taire jusqu’à ce que je puisse causer avec Frédéric. Je saurai bien reconnaître à sa voix, à ses paroles, s’il m’est dévoué ou s’il me trahit… Ô délicieux jardin, verdoyante patrie d’avril, et qui ne reconnais que lui seul pour le dieu et le roi de ton printemps ; moi qui me promettais de venir sur ton frais et doux gazon confier le secret de mon amour à tes fontaines et à tes fleurs, je viens malgré moi et accablée de tristesse, découvrir quelle est la perfide qui a soulevé dans mon cœur cette jalousie dont je sens les vives blessures. On entend du bruit du côté de la grille.) On a fait le signal dans la rue. Je suis toute émue et je tremble. Mais pourquoi m’effrayé-je, lorsque la jalousie protège mon amour ? Qui va là ?


FRÉDÉRIC paraît du côté de la fenêtre.
frédéric.

Pourquoi le demander, belle Laura ? Voulez-vous donc qu’à ma confiance succède l’inquiétude ? Qui cela peut-il être, si ce n’est moi ?

laura.

Ne vous étonnez pas, ne vous plaignez pas que je ne vous aie pas reconnu, puisque vous êtes si différent de ce que j’avais imaginé.

frédéric.

Comment donc ?

laura.

La duchesse m’a commandé de me tenir près de cette fenêtre pour voir avec qui vous venez parler ; et de là je conclus naturellement que vous avez manqué de discrétion, et qu’elle n’est pas contente.

frédéric.

Au nom du ciel, Laura, ma chère Laura, ne me soupçonnez point. Que le ciel m’anéantisse, que la foudre m’écrase, si j’ai laissé échapper de mon cœur la moindre parole qui ait laissé entrevoir mon secret !… Ne vous suffit-il pas, pour vous détromper, de songer que c’est à vous que la duchesse a donné cette mission ? et

  1. Il faut supposer que le théâtre représente tout à la fois un salon et une partie de la terrasse.