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JOURNÉE II, SCÈNE II.

le roi.

Que voulez-vous dire ?

wolsey.

Sire, je ne l’ignore pas, votre majesté possède plus d’intelligence et de lumière que je n’ai la prétention d’en avoir ; mais daignez m’écouter, sauf ensuite à ordonner mon trépas. Mourant pour votre service, je mourrai sans regret. Mille fois mon dévouement a été sur le point de vous parler avec une franchise entière ; mais il n’est pas facile de dire la vérité aux rois. Cependant, aujourd’hui, votre intérêt, votre salut l’exige, et je bannis les vains scrupules. — Sachez-le donc, sire, vous êtes libre ; votre mariage ne peut pas se considérer comme valide. Il est contre les lois divines et humaines que vous ayez épousé la reine Catherine, qui avait été d’abord la femme de votre frère.

le roi.

Ce que vous me dites là a troublé toute mon âme. — Mais cependant le pape n’a-t-il pas accordé sa dispense ?

wolsey.

Et cette considération pourrait vous arrêter ?… tout au plus si une raison semblable aurait le droit de se produire dans les disputes des écoles ; vous, vous ne pouvez pas y attacher d’importance. D’ailleurs votre opinion, comme étant celle d’un roi et d’un savant docteur, réglera celle du public. Quand même elle ne serait pas fondée, quand même vous vous trouveriez aveuglé par un fol amour qui vous entraîne hors du droit sens et de l’équité, — qui jamais attribuera votre conduite à de mauvaises passions ? Qui pourra jamais penser que vous ne vous soyez point dirigé par le sentiment de l’utilité publique et par l’inspiration de votre conscience ? — Secouez le joug, répudiez Catherine, et mettez-la dans un couvent ; elle est une sainte femme ; quand on lui proposera ce parti, nul doute qu’elle ne l’accepte sans murmurer. Vous vous êtes marié sans goût, sans amour ; rompez ces liens odieux, et donnez satisfaction aux impérieux sentiments de votre cœur. Que craignez vous ?


le roi.

Eh ! que voulez-vous que je craigne ? — Seulement, ce qui m’embarrasse, ce qui m’inquiète, ce sont les moyens d’exécution.

wolsey.

Convoquez votre parlement, et quand il sera assemblé adressez-lui un discours habile où vous lui direz que votre conscience vous force à agir ainsi à l’encontre du pape ; témoignez que c’est un pur effet de zèle, et montrez une vive affliction. — Une fois séparé de la reine, vous serez libre d’apaiser le feu qui vous consume, et puis nous prendrons nos arrangements pour que le pape ratifie ce qui aura été fait. — Pour moi, sire, en tout ceci je n’ai d’autre but que votre goût et vos désirs.