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JOURNÉE II, SCÈNE II.

soumis ma volonté ? Toutes les étoiles ont conspiré ensemble, et je n’ai pu résister, — Daignez me donner cette blanche main.

anne.

Arrêtez, sire. Pourquoi ces plaintes amoureuses ? pourquoi cet oubli de votre grandeur et de vous-même ?… Ce n’est pas, sire, que je ne sois flattée des sentiments que vous m’exprimez ; non, le ciel sait tout ce que je sens, tout ce que je pense, et combien j’ai lutté, combattu… Mais que voulez-vous ? vous êtes mon roi, et je ne suis que votre humble vassale. — Ah ! plût à Dieu, hélas ! que vous fussiez né dans les derniers rangs, pauvre et obscur !… Eh ! quel mérite, quelle valeur ajoute le sceptre à un homme qui possède vos belles qualités ?… Alors j’aurais pu vous entendre, alors j’aurais pu vous aimer, car vous-même vous m’auriez donné le titre d’épouse… Voyez quelle situation étrange est la vôtre, puisque le rang suprême vous est en quelque sorte reproché comme un démérite. — Mais pourquoi vous exprimer ces plaintes, ces regrets ? Qu’importe que j’eusse été digne de vous si le sort m’eût faite reine ?… Vous, sire, régnez, et laissez-moi mourir.

Elle s’éloigne comme pour sortir.
le roi.

Arrêtez, de grâce, arrêtez !

anne.

Vous me retenez aisément près de vous.

le roi.

Votre beauté m’enhardit.

anne.

Votre rang m’ôte l’espoir.

le roi.

Oui, divinité charmante, je veux vous adorer.

anne.

Oui, Henri, il faut que je renonce à vous et que je vous oublie.

le roi.

Ne me disiez-vous pas que si j’eusse été un homme d’humble naissance vous m’auriez accordé votre tendresse ?

anne.

Oui, alors j’aurais humilié ma fierté, j’aurais relevé votre humilité, l’amour m’eût rendue votre égale.

le roi.

Vous n’avez pas besoin de vous abaisser. C’est moi qui vous élèverai. Je veux vous combler des marques de ma faveur.

anne.

Voudriez-vous, sire, me voir déshonorée ?… Moi, que je cède à un homme dont je ne serais point la légitime épouse ! Moi que je sois la maîtresse d’un homme, — cet homme fût-il un roi !… Non, non, n’espérez pas vaincre ma résolution ; et si vous m’aimez, ne songez pas à m’ôter mon honneur et ma gloire.