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JOURNÉE I, SCÈNE I.

surpris en adoration devant cet astre incomparable… Souvent aussi lorsque la nuit venait couvrir la terre de ses voiles, moi j’accourais au jardin de ma divinité, où les oiseaux et les fleurs, où les ruisseaux et les fontaines comme moi lui parlaient d’amour. — N’as-tu jamais vu l’abeille légère voltigeant autour de la rose, s’approcher, puis s’éloigner, jusqu’à ce qu’elle aspire le suc parfumé de sa corolle ? N’as-tu jamais vu l’amoureux papillon tourner autour d’un flambeau jusqu’au moment où, par elle invinciblement attiré, il livre à la flamme les couleurs de ses ailes ? Ainsi mon amour timide tourna longtemps autour de ce flambeau et de cette rose ; mais à la fin, devenant plus hardi, comme le papillon il brûla ses ailes, mais aussi, comme l’abeille, il déroba un doux parfum[1]. — Oh ! mille fois heureux celui de qui l’amour obtient une si belle récompense ! On a dit, je le sais, qu’au moment où la passion triomphe, l’espérance meurt et naît l’oubli. Mais ceux qui tiennent ce langage n’ont jamais aimé. — Cependant le seigneur de Boleyn avait achevé son ambassade, et il retourna en Angleterre avec sa fille. Moi je demeurai seul, ne sachant plus que devenir, privé du soleil qui m’éclairait, privé de l’étoile polaire qui dirigeait ma vie. — C’est pourquoi j’ai demandé au roi cette ambassade ; je suis venu à Londres, et je me félicite que le roi Henri VIII m’ait aussi longtemps retenu. Puissé-je demeurer ici encore un siècle, quoique j’aie appris avec peu de plaisir que ma belle maîtresse allait venir au palais !… Et maintenant tu sais mon secret ; tu sais mon amour, mon inquiétude et ma crainte.

denis.

Mais, mon seigneur, que craignez-vous, que redoutez-vous, si vous devez l’épouser ?

charles.

Mon père hésite beaucoup à m’accorder son consentement. — D’ailleurs, te l’avouerai-je ? Anne, cette femme si belle, si charmante, est remplie d’ambition, d’arrogance et de vanité ; et bien qu’en public elle se montre catholique, je la crois en secret luthérienne. Tous ces défauts m’effrayent ; et il vaut mieux pour moi, ce me semble, la posséder comme amant, que de risquer, en l’épousant, d’en venir aux regrets. — Mais quel est ce bruit ?

denis.

C’est Anne qui arrive au palais.

charles.

Oui, à cet éclat qui brille, j’aurais dû deviner que le soleil paraissait.


Entre PASQUIN, vêtu d’une manière grotesque.
pasquin.

Comme je suis bien accoutré et galant !… Mais que se passe-t-il donc ? voilà du nouveau ! C’est le cortége, et l’on n’a pas pensé à

  1. ......Y aveja y mariposa,
    Quemé las alas, y llegué a la rosa.