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LE PRINCE CONSTANT.

don juan.

Il faut, moi aussi, que je vous laisse.

don fernand.

Que ferai-je sans toi ?

don juan.

Je reviens à l’instant… Je vais chercher quelque chose pour votre nourriture. Depuis que Muley est parti, il ne nous reste aucune ressource ; mais je ferai de nouveaux efforts pour vous en procurer… Je crains cependant de n’y pas réussir ; car tous ceux qui me voient, — pour ne pas contrevenir à l’édit qui défend même de vous donner de l’eau, — ne veulent rien me vendre parce qu’ils savent que je suis avec vous. — Qui eût jamais pensé que la rigueur du sort pût aller jusque-là !… Mais voici du monde.

Il sort.
don fernand.

Ah ! si ma voix pouvait toucher quelqu’un !… Je voudrais vivre quelques instants de plus dans les souffrances.


Entrent LE ROI, TARUDANT, FÉNIX et SÉLIM.
sélim, au Roi.

Noble seigneur, vous êtes entré dans une rue où il est impossible que vous ne soyez pas vu et remarqué par l’infant.

le roi, à Tarudant.

J’ai voulu vous accompagner pour vous faire voir ma grandeur.

tarudant.

Vous me comblez sans cesse de nouveaux honneur

don fernand.

Donnez, de grâce, quelque soulagement à un infortuné. Je suis affligé, malade, et mourant de faim. Homme, ayez pitié d’un homme. Les animaux ont pitié de leurs semblables.

brito.

Ce n’est pas ainsi qu’il faut demander dans ce pays.

don fernand.

Et comment ?

brito.

Le voici. — Seigneurs Mores, ayez compassion d’un pauvre malheureux qui n’a pas de quoi manger, et donnez-lui quelque chose pour l’amour du saint jambon du grand prophète Mahomet[1].

le roi, à part.

Qu’il conserve sa constance dans cet état de misère et d’opprobre, c’est une offense, un outrage pour moi ! (Haut.) Grand maître ? Infant ?

brito.

Le roi vous appelle ?

  1. C’était une croyance populaire en Espagne que les musulmans adoraient à Médina unes cuisse de leur prophète.