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LE PRINCE CONSTANT.

au loin comme une plaine azurée et des champs verdoyants… Mais tout cela ne dit rien à mon cœur ; et sans doute ma peine est grande puisque je demeure insensible devant le ciel et la terre, la mer et le jardin.

zara.

Quels pénibles combats vous avez à soutenir !


Entre LE ROI, tenant à la main un portrait.
le roi.

Si le chagrin qui s’est fait le persécuteur de votre beauté vous accorde un moment de trêve, recevez, — non ce portrait, — car ce qui a tant de vie et d’expression ne peut pas être une vaine image… recevez, dis-je, cet envoyé de l’infant du Maroc, Tarudant, qui vient de sa part mettre à vos pieds sa couronne. Cet ambassadeur muet, — vous ne pouvez pas en douter, — porte un message d’amour. J’ai à me féliciter de l’appui qu’il me prête : il a réuni dix mille cavaliers pour les envoyer sous mes ordres à la conquête de Ceuta, objet de mon ambition. Que votre modestie soit enfin moins sévère ; écoutez l’amour de ce prince, déjà héritier d’un puissant empire, et que j’espère couronner bientôt roi de votre beauté.

fénix, à part.

Qu’Allah me protège !

le roi.

Quel sujet vous trouble ainsi ?

fénix, à part.

J’ai entendu ma sentence de mort.

le roi.

Que dites-vous ?

fénix.

Seigneur, vous êtes, vous le savez, mon maître, mon père et mon roi ; que pourrais-je dire ?… (À part.) Ah ! Muley ! quelle occasion tu as perdue ! (Haut.) Mon obéissance vous répond en se taisant. (À part.) Mon âme mentirait si elle le pensait ; ma bouche ment en le disant.

le roi.

Prenez ce portrait.

fénix, à part.

Ma main peut le prendre par force ; mais mon âme ne l’accepte pas.

On entend un coup de canon.
zara.

Ce coup de canon est tiré en l’honneur de Muley, qui sera rentré au port.

le roi.

Il mérite qu’on lui rende cet honneur.