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LES TROIS CHÂTIMENTS EN UN SEUL.

don lope.

Quelle est-elle ?

don guillen.

J’aurais dû vous dire d’abord qu’en ce même temps nous avions pour ambassadeur à Naples le seigneur don Mendo, que le roi don Pèdre avait cru devoir y envoyer dans ces circonstances difficiles comme un homme d’une expérience consommée, et qui, durant vingt ans, avait déployé les plus grands talents à Rome et en France… Vous savez maintenant quelle est la dame dont je veux vous parler. Car vous dire que don Mendo fut envoyé à Naples à cette époque, — que je vis dans cette ville une merveilleuse beauté, que je suis venu à Saragosse bien plutôt pour la voir que pour solliciter aucun emploi, — et que vous pouvez me servir auprès d’elle parce qu’elle habite votre maison, — c’est vous dire que doña Violante est la divinité souveraine dont je suis le culte sacré, et sur les autels de laquelle je suis prêt à sacrifier ma vie et mon âme.

vicente, à part.

Voilà une affaire qui s’annonce mal, et je crains bien que ce jeune homme ne parte pas d’ici comme il y est venu.

don lope, à part.

Quelle situation est la mienne ! Mais ne laissons pas voir ma jalousie… et bien que la coupe qui m’est offerte soit pleine de poison, buvons-la toute d’un seul trait. (Haut.) Il est clair, don Guillen, que les éloges excessifs que vous avez prononces ne peuvent guère convenir qu’à doña Violante. Mais dites-moi où vous en êtes avec elle, pour que je puisse au plus tôt agir en ce qui me concerne.

don guillen.

Deux mots suffiront pour vous dire quelle est ma situation à son égard.

don lope.

Quels sont-ils ?

don guillen.

Amour et disgrâce. J’aime et ne suis point aimé.

don lope.

Cela n’est pas bon signe ; il faut voir.

don guillen.

Ayant donc appris qu’elle venait à Saragosse, je l’y ai suivie secrètement, et avec votre concours j’espère parvenir à toucher son cœur. Car, vous, demeurant dans la même maison, don Lope, je pourrai non-seulement la rencontrer et lui parler quelquefois, tout en ayant l’air de n’être venu que pour vous, mais j’obtiendrai sûrement de vous que vous lui parliez en ma faveur. Pour ne pas perdre une occasion, don Lope, cherchez, je vous prie, quand elle aura fini sa visite, un moyen de lui remettre un billet de ma part. Je ne veux pas être vu par elle avant qu’elle soit avertie de mon arrivée, de peur qu’elle n’interprète mal mon empresse-