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LES TROIS CHÂTIMENTS EN UN SEUL.

elvire.

Jamais je ne vous ai vue de pareille humeur.

doña violante.

Et ce que tu vois, Elvire, n’est rien en comparaison de ce que j’éprouve. Aide-moi à me débarrasser de ces coiffes, et pose ma robe sur ce meuble.

elvire.

Il paraît, madame, que les brigands ne sont pas aussi farouches qu’on les dépeint.

doña violante.

Hélas ! sa taille, sa figure, sa voix, ont fait sur moi une telle impression, que je ne puis le chasser de mon souvenir. De quelque côté que je tourne les yeux, je me figure le voir partout devant moi.


Elles se retirent toutes deux dans un cabinet qui est dans la chambre, et d’où elles demeurent visibles au spectateur. En même temps, entrent DON LOPE et VICENTE.
don lope.

Ô ciel ! que se passe-t-il ? D’où vient que cette chambre est ornée avec tant de soin ?

vicente.

Nous nous serons trompés de maison ; car je crois que chez votre père il ne reste plus le moindre meuble[1].

don lope.

Arrête.

vicente.

Je m’arrête.

don lope.

N’aperçois-tu pas une femme ?

vicente.

J’en vois même deux.

don lope.

Avec un superbe dédain elle ôte sa parure comme un trophée inutile pour sa beauté, et elle semble dire : « Vénus avec sa seule ceinture est plus redoutable que Pallas avec ses armes. »

vicente.

Je la vois ; et pour peu que cela continue, nous aurons d’ici à un moment la plus jolie perspective.

don lope.

Qui donc peut être cette femme ?

vicente.

Puisque ce n’est pas votre mère, c’est peut-être la mienne.

don lope.

Je m’avance pour voir son visage.

  1. Parce que don Lope a complètement ruiné sa famille.