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L’ESPRIT FOLLET.

belle… Cette nuit même je prétends avoir ce portrait, puisque je pourrai entrer chez lui plus librement. Prépare-moi un flambeau, et que je puisse aller chez lui sans qu’on me voie… car un homme qui m’écrit ne doit pas garder en sa possession le portrait d’une autre femme.

Doña Angela et Isabelle sortent.
béatrix.

En vérité, don Juan, votre amour pour moi est-il bien tel que vous me le dites ?

don juan.

Je vous le prouverai en quelques mots, si vous le désirez.

béatrix.

Parlez donc.

don juan.

Oui, belle Béatrix, mon amour est si vrai, ma foi si constante, mon affection si rare, que si je voulais ne vous aimer plus, je vous aimerais encore contre ma volonté. — J’ai pour vous tant de dévouement et d’admiration, que si vous oublier m’était possible, je vous oublierais aussitôt, afin qu’ensuite, vous aimant par choix, mon amour fût tout volontaire et non pas forcé. — Celui qui aime une femme parce qu’il ne peut la bannir de sa pensée, celui là ne lui impose aucune reconnaissance, puisqu’il n’agit pas d’après son libre arbitre. — Moi, je ne puis vous bannir de ma pensée, et je souffre de voir que mon étoile l’emporte ainsi sur mon amour[1].

béatrix.

Si le choix dépend du libre arbitre, et si la contrainte dépend de l’impulsion de notre étoile, la volonté la plus ferme sera celle qui n’est pas soumise à leurs caprices. — Et c’est pourquoi je n’ai point confiance en votre amour ; parce que ma foi, qui n’admet pas les choses impossibles, renierait mon libre arbitre, si mon libre arbitre voulait aller sans elle. — Car dans ce rapide instant qui s’écoulerait dans l’oubli avant de revenir à l’amour, je regretterais d’être privée de ma tendresse. — Et je me réjouis de ce qu’il ne m’est pas donné de vous bannir de ma pensée, puisque je ne vous aimerais pas pendant que je chercherais à vous oublier[2].

Ils sortent.

Scène IV.

Dans la maison de don Juan.
Entrent DON MANUEL et COSME. Celui-ci est poursuivi par don Manuel.
don manuel.

Vive Dieu ! si je ne considérais…

cosme.

Que considérez-vous ?…

  1. Ce couplet dans l’original orne un sonnet.
  2. Encore un sonnet, qui, naturellement, devait être la réponse du premier.