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JOURNÉE II, SCÈNE II.


Scène II.

Un autre appartement.
Entre ISABELLE par l’armoire, avec une corbeille recouverte.
isabelle.

Ils sont sortis, à ce que m’a dit le domestique. Le moment est favorable pour mettre cette corbeille remplie de linge fin à l’endroit convenu… Mais qu’est-ce donc que j’éprouve ?… comme il est nuit, dans l’obscurité, j’ai peur. Que Dieu me soit en aide ! Je suis le premier revenant qui se soit recommandé à Dieu… Je ne puis plus trouver le buffet… je ne me reconnais plus dans cette salle… je ne sais plus où je suis… et j’ai beau chercher, il m’est impossible de mettre la main sur la table. — Que faire, ô ciel ? si je ne parvenais pas à sortir et qu’on me vît ici, ce serait une belle affaire. — Jamais frayeur ne fut égale à la mienne… Mais quoi ! on ouvre, et la personne qui ouvre a de la lumière. Voici la fin de l’aventure. Je ne puis ni me cacher ni sortir.


Entre COSME, avec un flambeau.
cosme, se croyant seul.

Seigneur esprit follet, si par hasard les esprits follets bien nés sont sensibles à la politesse, je vous supplie humblement de m’oublier dans vos fantaisies, et ce pour quatre raisons. (Il s’avance dans la chambre, et Isabelle marche derrière lui en évitant de se laisser voir.) La première… je m’entends. La seconde… vous la savez. La troisième… parce que vous m’avez très-bien compris. Et la quatrième… à cause de la chanson :

Seigneur esprit follet,
Ayez pitié de moi.
Car je suis jeune et seul,
Et ne me suis jamais vu en tel péril[1].

isabelle, à part.

Maintenant, grâce à la lumière, j’ai repris connaissance des localités. Il ne m’a point vue… Si j’éteignais sa lampe : pendant qu’il ira la rallumer, je pourrais rentrer chez nous. Il entendra, mais ne me verra point… et de deux maux il faut choisir le moindre.

cosme, à part.

La peur fait entendre toute sorte de bruits.

isabelle, à part.

Voici comme je m’y prendrai.

Elle éteint la lumière en frappant Cosme.
cosme.

Ah ! malheureux ! On m’a tué ! Un confesseur !

  1. Les vers de Calderon sont la parodie d’une vieille chanson espagnole, qu’il a aussi imitée dans une autre comédie, la Niña de Gomez Arias.