Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome III.djvu/160

Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
L’ESPRIT FOLLET.

isabelle.

Sans doute. Mais pour que le stratagème soit complet, il n’y a qu’à la clouer avec deux clous qui ne tiennent pas. Ce sera indiquer que pour ouvrir il ne faut que connaître le secret.

angela.

Fort bien. — Dès que le domestique viendra pour allumer, dis-lui qu’il vienne t’avertir dans le cas où notre hôte sortirait. J’aime à croire que sa blessure ne l’obligera pas à garder la chambre.

isabelle.

Eh quoi ! vous iriez ?

angela.

J’ai je ne sais quel désir insensé de m’assurer si c’est à lui que je dois l’honneur et la vie. Si je suis cause de sa blessure, il est bien juste que je m’y intéresse… alors surtout que je puis me montrer reconnaissante sans me compromettre. Allons, je veux voir cette fameuse armoire, et si je pourrai passer d’un appartement à l’autre sans éveiller aucun soupçon.

isabelle.

Ce sera charmant. Mais s’il venait à parler ?

angela.

Il ne parlera pas. Un homme aussi généreux, aussi vaillant, aussi spirituel, — car sa conduite a montré qu’il possède toutes ces qualités, — ne me causera point de chagrin par ses indiscrétions. Une langue indiscrète ne saurait se rencontrer chez un cavalier si parfait.


Scène III.

Un autre appartement chez don Juan.
Entrent DON JUAN, DON MANUEL, et UN DOMESTIQUE, portant un flambeau.
don juan.

Au nom du ciel, reposez-vous.

don manuel.

Ma blessure n’est rien, don Juan, et je suis honteux d’en avoir parlé. C’est de ma part une délicatesse excessive.

don juan.

Tant mieux ! j’en remercie mon étoile. Je ne me consolerais jamais de vous voir souffrant dans ma maison, et, qui pis est, blessé, quoique bien involontairement, par la main de mon frère.

don manuel.

C’est un parfait cavalier. J’admire son courage et son adresse, et me déclare désormais son ami et son serviteur.