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L’ESPRIT FOLLET.

frère ait reçu chez lui un hôte ? D’ailleurs, on a pris assez de précautions. Tout exprès pour son appartement, on a fait ouvrir une porte sur une autre rue. Et quant à la porte qui communique aux appartements intérieurs, masquée des deux côtés par une fausse armoire remplie de verreries, on ne se douterait pas seulement qu’elle existe.

don louis.

Tu emploies pour me rassurer un argument assez singulier, en me disant que l’honneur de ma sœur est protégé par une porte vitrée qu’on peut mettre en pièces à la première attaque !

Ils sortent

Scène II.

Un appartement chez don Juan.
Entrent DOÑA ANGELA et ISABELLE.
angela.

Donne moi mes coiffes de deuil, Isabelle, donne-moi ces tristes vêtements… puisque mon destin cruel l’a ainsi voulu.

isabelle.

Prenez vite. Car si votre frère a conçu quelque soupçon, il n’aurait plus aucun doute en vous revoyant avec le même costume sous lequel il vous a rencontrée au palais.

angela.

Que le ciel me soit en aide !… Suis-je donc destinée à mourir entre deux murailles où le soleil même pénètre à peine ? Jamais femme ne jouit de moins de liberté. Veuve de mon mari, j’ai en quelque sorte pour époux mes deux frères ; et ce serait un crime à leurs yeux que d’aller, voilée, contempler de loin le théâtre d’une fête si belle… Destin cruel ! Étoile rigoureuse !

isabelle.

Il faut, madame, excuser vos frères. Veuve si jeune encore, et de plus, charmante et pleine d’attraits, ils doivent vous surveiller avec attention, car c’est dans votre état qu’une pauvre femme est le plus exposée aux aventures d’amour… surtout aujourd’hui qu’on voit à la cour tant de petites veuves de hasard[1] qui, dans la rue, vous paraissent si sages, si réservées, si dévotes, et qui chez elles ne font que rire et folâtrer, — après avoir mis de côté leur mine béate et leur coiffe. — Mais réservons ces discours pour un autre moment. Comment n’avons-nous pas encore parlé de ce cavalier étranger à qui vous avez confié votre honneur et que vous avez choisi pour galant ?

angela.

On dirait que tu as lu dans mon âme… Il m’inspire, je ne te le cache pas, beaucoup d’inquiétude. Ce sont des folies sans

  1. Unas viuditas de azar.