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JOURNÉE II, SCÈNE II.

fabio.

C’est que votre altesse a jasé, et si mon maître venait encore à soupçonner quelque chose, il me tuerait.

la duchesse.

Je remarque qu’il ne t’a pas tué jusqu’à présent.

fabio.

Il est vrai ; mais à ce propos, voici un petit conte. — Un galant était en conversation avec sa dame ; et, profitant de l’occasion, certain insecte[1] disait en lui-même : « Ce n’est pas le moment qu’il se gratte, et je puis, sans crainte, me régaler à l’aise. » À la fin, pourtant, fatigué de la démangeaison, le galant porta les doigts où cela lui démangeait, et parvint à faire l’insecte prisonnier. Or, au même instant la dame se retourna, et vit son galant qui tenait la main comme un homme qui va prendre du tabac ; et comme il n’y avait là personne qui put l’entendre, elle lui demanda d’un air sérieux : « Eh bien, avez-vous tué ce cavalier ? » Le galant fut d’abord interloqué ; mais bientôt s’étant remis, et tenant la main comme je vous ai dit : « Non, madame, fit-il, je ne l’ai pas encore tué, mais je le serre de près. » — Et moi, madame la duchesse, je vous dirai la même chose en ce moment : On ne m’a pas encore tué, il est vrai, mais de près l’on me serre. Aussi, après votre trahison, je ne vous dirai pas que j’ai vu aujourd’hui mon maître qui tenait un portrait au moyen duquel vous pourriez découvrir quelle est cette belle dame dont il est si épris, s’il vous était possible de vous le procurer. Voilà, madame, ce que je vous dirais, et d’autres choses encore, si je ne craignais votre langue. Mais ne comptez pas que je vous dise jamais cela ni autre chose : et surtout lorsque je considère que le seigneur Frédéric est mon maître, et que votre altesse bavarde.

Il sort.
la duchesse.

Il a un portrait !… Ah ! c’est ici que j’ai besoin d’esprit et d’adresse pour l’obliger à le montrer sans trahir mes sentiments !… Mais ce n’est pas ici le lieu ; nous serions trop exposés aux regards.


Entre FRÉDÉRIC.
frédéric, à part.

Après tout, le meilleur parti est peut-être de ne point lui parler de cela, et d’attendre qu’elle-même m’en parle. (Haut.) Madame, puisque votre altesse m’a envoyé chercher, vous voulez sans doute signer les dépêches ?

la duchesse.

Oui ; mais le jardin n’est pas pour cela l’endroit convenable… surtout à cette heure que le soleil se couche dans son brillant tombeau. Portez sans retard ces dépêches dans mon appartement, et

  1. Dans le texte Fabio nomme cet insecte par son nom : un piojo.