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LE SECRET À HAUTE VOIX.

de ma part un peu de curiosité. Puis, je ne sais quelle fantaisie… Vous savez que, pour connaître cette dame, je lui ai donné une mission et vous ai priée de faire la garde dans le jardin… Eh bien, il faut que vous sachiez qu’un espion que je tiens auprès de lui, vient de m’avertir à l’instant que Frédéric ne s’était pas absenté, et qu’il avait passé toute la nuit à causer avec sa dame.

laura.

Cela est bien audacieux !… Et — vous a-t-on nommé cette dame ?

la duchesse.

Non.

laura.

Alors, madame, n’en croyez rien ; car, en admettant qu’il eût pu vous tromper avec cette lettre supposée, à quoi bon m’aurait-il trompée également avec celle-ci ?

la duchesse.

Vous êtes bien sûre que votre lettre est bien de votre cousine.

laura.

J’en suis bien sûre.

la duchesse.

Alors il aura envoyé à sa place une autre personne, qui aura apporté ces deux lettres, et là-dessus mon espion ne sait rien.

laura.

Il faut que cela soit ainsi.

la duchesse.

Il me vient un autre soupçon. Vous avez passé la nuit dans le jardin, et vous n’y avez vu descendre aucune dame. D’un autre côté, mon espion me dit que Frédéric a passé toute la nuit avec sa dame. Je conclus de là que la dame qu’aime Frédéric n’habite point le palais.

laura.

Je n’en doute pas non plus ; il faut croire qu’elle demeure en ville.

la duchesse.

Eh bien ! je tenterai mille moyens, jusqu’à ce que je sache qui est cette dame.

laura.

Pourquoi cela, madame ?

la duchesse.

Pouvez-vous le demander, Laura !… Lorsque je vous ai confié et que je me suis avoué à moi-même le sentiment qui m’anime, peu importe qu’il le sache ou qu’il l’ignore !… J’ai au cœur tant d’orgueil, tant de fierté, que je ne puis pardonner même l’injure qu’on m’a faite par ignorance.

Elle sort.
laura.

Il est essentiel que Frédéric soit averti de cet espionnage jaloux…