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JOURNÉE III, SCÈNE II.

se proposait de se marier à son amant, et que sur cette confiance elle souffrait que celui-ci vînt la trouver la nuit dans sa maison. Moi, Béatrix, seulement pour me venger je résolus de m’en assurer… n’ayant d’ailleurs d’autre but que de lui faire savoir que je connaissais son secret, afin qu’elle ne se donnât plus les airs d’une beauté orgueilleuse qui repoussait tous les hommages. Sa suivante me fit cacher dans un cabinet de son appartement : de là je pus bientôt la voir qui sortait pour aller dans une autre chambre… Je la suivis dans l’espoir d’entendre quelques mois que je pusse ensuite lui répéter. — Ici, Béatrix, ce n’est pas à vous que je parle ; ignorez à jamais que don Diègue, pour se venger d’une femme, ait pu s’abaisser jusqu’à méditer un outrage. — Léonor m’ayant entendu, elle revint sur ses pas, son amant la suivit, et vous savez le résultat de la rencontre ; il est inutile que je vous le répète. Enfin, après tant d’aventures, je revins à Valence ; et je vous le jure, en me vouant si je mens à la colère du ciel, j’ignorais l’arrivée de Léonor dans cette ville. Réfléchissez, pour vous en convaincre, que je suis venu vous voir la nuit où je fus obligé de me jeter par ce balcon. Cependant, Béatrix, comme vous aviez tout appris, moi, dans le désir de dissiper vos soupçons, je vins hier au soir pour tenter de vous parler ; presque au même instant, don Juan, que ma mauvaise étoile semble exciter contre moi, entra à ma suite. En voulant me retirer, je rencontrai Léonor ; mais, malgré la surprise que j’éprouvai en la voyant, et surtout en la voyant sous ce costume, je conservai cependant assez de sang-froid pour substituer Léonor à vous-même. Au milieu de ces événemens imprévus survint don Carlos. — Pourquoi donc, Béatrix, vous qui savez tout cela, me proposez-vous d’épouser Léonor, — une femme qui m’a toujours abhorré, une femme dont les mépris ont causé tous mes malheurs, une femme qui est venue à Valence avec un autre amant, une femme que je n’ai rencontrée dans votre maison que parce que je venais vous y chercher ?… Était-ce à vous surtout de me faire une telle proposition ? Si, pendant mon absence, vous avez donné votre cœur à un autre plus heureux, et que vous preniez mon aventure de Madrid pour un prétexte afin de rompre avec moi, eh bien ! Béatrix, abandonnez un homme qui vous aime, à la bonne heure ! mais ne vous occupez point de me marier, car ce n’est pas de votre main que je dois accepter une femme.

don carlos, à part.

Ô ciel ! qu’ai-je entendu ? Jamais homme fut-il mieux désabusé ! Ah ! Léonor, ma chère Léonor, oui, tu disais la vérité.

béatrix.

Et qu’espérez-vous faire contre tant d’ennemis ?

don diègue.

Quels sont ces ennemis ?

béatrix.

Moi, Léonor, don Pèdre, don Carlos, et don Juan.