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JOURNÉE III, SCÈNE I.

béatrix.

Hier, Léonor, j’ignorais qui vous étiez. Mieux instruite aujourd’hui, je vous mets à votre place, et vous regarde comme mon amie. (À part.) Je devrais dire, ma plus cruelle ennemie.

léonor.

Non, madame, en cessant de porter le titre de votre suivante, je ne serai point dédommagée du bien que je perds par l’honneur que je gagnerai. Souffrez que je reste à jamais dans la situation où j’ai été placée près de vous. Oui, si celle qui, sans le savoir, a causé tant de trouble dans votre maison, n’est pas indigne de vos bontés, traitez moi, je vous prie, comme vous m’avez traitée jusqu’à présent.

béatrix.

Cela n’est plus possible. Songez donc qu’en ce moment, pour m’acquitter de ce que je dois à votre naissance et à ma maison, je m’occupe de vous marier.

léonor.

Le ciel récompense tant de bonté ! Mais, madame, vous ne réussirez pas dans vos desseins. Carlos ne voudra pas. Il est si jaloux !

béatrix.

Il ne s’agit point de don Carlos.

léonor.

De qui donc ?

béatrix.

De don Diègue Centellas.

léonor.

Renoncez à cette idée. Plutôt mourir mille fois que d’être à don Diègue !

béatrix.

Vous ne l’aimez donc pas ?

léonor.

Moi, aimer don Diègue !… Un aspic rencontré au milieu des fleurs, — un serpent que j’aurais vu dans la campagne, — un tigre qui me serait apparu dans les forêts, me sont moins odieux que lui.

béatrix, à part.

Doucement, s’il vous plaît. Je veux bien qu’elle le dédaigne, mais pas à ce point.

don carlos, à part.

La perfide ! elle m’aura sans doute aperçu. Sans cela elle tiendrait un autre langage.

béatrix.

Je pensais vous être agréable. Je ne croyais pas que vous pussiez détester un homme qui, à Madrid, a failli mourir pour vous, et qui vous a suivie à Valence.