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LE GEÔLIER DE SOI-MÊME.

les habits vinssent toujours comme ça ; alors il n’y aurait plus besoin de tailleurs, et je serais content… Qu’est-ce qu’ils diront au village quand ils me verront ainsi vêtu ? Je suis sûr qu’ils en seront tout ébaubis… Et Antona donc, que dira-t elle ?… elle croira voir saint Georges lorsqu’il s’en va pour tuer le dragon. Comme ce sera drôle de me voir de la tête aux pieds avec ce chapeau d’or et ces guêtres de cuir[1]. Je ferai l’envie de tous les laboureurs des environs… et puis, va te promener comme l’autre, le jour par les chemins, la nuit par les halliers[2].

Il s’éloigne.


Entrent LE CAPITAINE et DES SOLDATS.
le capitaine.

C’est dans cette chaîne de montagnes dont les mille détours forment une espèce de labyrinthe naturel, c’est ici, sans aucun doute, que cet homme redoutable doit être caché. Tous les rapports s’accordent à dire qu’il est venu de ce côté. Oh ! plût au ciel que nous fussions assez heureux pour pouvoir remettre aux mains du roi l’homme qui a converti en deuil et en larmes le plaisir et la joie de tes fêtes !

deuxième soldat.

S’il est venu par ici, il est impossible qu’il nous échappe, car des hommes d’armes ont cerné de tous côtés la montagne.

le capitaine.

Et son armure à lui est si connue, que seule elle le fera reconnaître.

deuxième soldat.

Seigneur, au bas de ces rochers je vois un cheval étendu mort.

le capitaine.

Il n’y a pas moyen de s’y tromper, c’est le sien, c’est celui qu’il montait le jour du tournoi. Et si le cheval est là, — qui se sera renversé par sa propre violence, — le maître ne doit pas être loin.

premier soldat.

Ne se peut-il pas qu’il ait changé de cheval dans la montagne

le capitaine.

Il n’a pas dû prendre tant de précautions, ne sachant pas ce qui arriverait. Oui, plus j’y pense, plus je suis persuadé qu’il est par ici.

  1. Este papahigo de oro
    Y las polaynas de cuero !

    Le papahigo est une espèce de bonnet assez semblable à certaines casquettes de voyage qui ont de chaque côté un morceau d’étoffe pour couvrir les oreilles.

  2. Y andate como Longinos,
    De dia por los caminos
    De noché por los xarales.

    Les deux derniers vers sont tirés d’une ancienne romance espagnole. Dans le premier, Benito probablement dit Longinos au lieu de Calaynos, dont les aventures étaient populaires en Espagne.