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LE GEÔLIER DE SOI-MÊME.

(EL ALCAYDE DE SI MISMO.)



NOTICE.


Le mot alcayde, que les Espagnols ont emprunté des Arabes, a dans les deux langues un double sens : il sert à désigner le gouverneur d’une place et le geôlier d’une prison. Aussi, alors même qu’il est employé dans la seconde signification, il présente à l’esprit une idée moins basse que notre mot geôlier. Et c’est pourquoi, dans un grand nombre de passages de notre traduction, nous avons cru devoir préférer à cette expression celle de gouverneur, quoiqu’elle s’applique d’une manière moins exacte à la situation qui a motivé le titre de la pièce.

La situation principale de cette comédie, est des ingénieuses, et depuis Calderon elle a été fréquemment mise sur la scène. Mais on aurait tort, à notre avis, de ranger cette pièce parmi ce que nous appelons les comédies d’intrigue. C’est une comédie où dominent avant tout, comme dans quelques pièces de Shakspeare, l’imagination et la fantaisie, et qui échappe comme elles à la classification des vieilles poétiques.

Bien que le point de départ du Geôlier de soi-même soit la mort d’un homme, on n’en sent pas moins que le poète commence un léger badinage. Le mort n’a point paru sous les yeux du spectateur ; il a été tué dans un tournoi ; il a été tué par un chevalier mystérieux. Comment le chevalier mystérieux sera-t-il découvert et reconnu ? Et en attendant, par quels moyens pourra-t-il se soustraire aux poursuites dirigées contre lui ? Voilà toute la question et toute la pièce.

Il n’y a donc pas à s’inquiéter sur son sort ; ce serait mal répondre à l’intention de Calderon, intention qu’il a indiquée selon nous avec une exquise finesse. Lorsqu’il peint si crédule et si bonhomme le roi qui poursuit le chevalier mystérieux, lorsqu’il le représente comme une espèce de Cassandre couronné, n’est-ce pas pour annoncer indirectement que le chevalier n’a rien à craindre et faire pressentir un dénouement favorable ?

Le Geôlier de soi-même a été imité sous ce même titre par Thomas Corneille. Nous sera-t-il permis de l’avouer avec tout le respect que nous professons pour l’un de nos bons écrivains et pour un si grand nom ? nous trouvons l’imitation de beaucoup inférieure à l’ouvrage original ; et l’on partagera probablement notre opinion si l’on veut bien se donner la peine de comparer ensemble le modèle et la copie.