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JOURNÉE III, SCÈNE I.

don lope.

Ta barque est-elle prête ?

le batelier.

Oui, seigneur. — Il faut que ce soit pour vous ; vous ne venez pas dans un bon moment ; nous avons beaucoup de monde. Il y a tant de gens qui vont au Jardin du roi pour assister au départ de notre roi don Sébastien, que Dieu garde !.. Les barques ne font ce soir qu’aller et venir.

don lope.

Tu seras content de moi.

le batelier.

Je l’espère bien, seigneur.

don lope.

Allons, dispose-toi à me mener à ma maison de campagne.

le batelier.

Sera-ce bientôt ?

don lope.

Tout de suite.

le batelier.

Je suis prêt à l’instant.

Il sort.


Entre DON LOUIS.
don lope, à part.

Quel est donc cet homme ?… C’est lui ! c’est mon cavalier !

don louis, à part.

Relisons une seconde fois cette lettre qui m’a rendu la vie… Un plaisir répété est doublement un plaisir. (Il lit.) « Ce soir, le roi va au Jardin ; vous pourrez venir dans la foule sans qu’on vous voie, nous nous retrouverons, et nous achèverons de nous expliquer. Dieu vous garde ! Léonor. » — Fâcheux contre-temps ! pas une barque !… Il n’y en a qu’une, et quelqu’un l’attend !… Vive Dieu ! il vaudrait mieux que la fortune ne m’accordât jamais ses faveurs, que de me les offrir sans me donner les moyens d’en profiter.

don lope, à part.

Il lit une lettre !… Dans cette lettre il est question de moi, j’en suis sûr… Que l’honneur est craintif ! Je ne vois et n’entends rien que je ne le rapporte à mon malheur.

don louis.

Quel est cet homme que j’aperçois là-bas ?… Dieu me pardonne ! c’est don Lope. Au moins tout s’arrange à merveille, puisque c’est lui qui a pris la dernière barque.

don lope, à part.

Ô mon âme ! dissimule !… Le moment n’est pas venu encore… Mais si fait, il est venu… Le serpent caresse, la bouche pleine de venin, jusqu’à ce qu’il le lance sur l’imprudent qui se confie à lui.