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JOURNÉE II, SCÈNE III.

syrène.

Alors je vous en supplie pour ce pauvre jeune seigneur.

léonor.

Donne. — Cela le chagrine, il me semble. C’est pour toi seule que je brise le cachet[1] ; c’est pour toi seule que je la lis, entends-tu, Syrène ?

syrène.

Je le vois bien. — Ouvrez-la donc.

léonor, à part.

Que peut-il avoir à me dire ? — (Elle lit.) « Léonor, s’il m’était possible de vous obéir en vous oubliant, je pourrais vivre ; et après tous les ennuis, tous les chagrins que ce fatal amour m’a causés, ce serait de ma part être généreux envers moi seul que de renoncer à vous aimer… Plût à Dieu que cela fût en mon pouvoir ! mais voilà longtemps déjà que j’essaye de réussir, et je ne le puis. Mon cœur s’obstine à vous aimer malgré mon malheur et vos ordres… Moi vous oublier, moi renoncer à vous ! Non, cet avantage n’est pas donné à un amant dédaigné. Mais vous, aimez-moi, accordez-moi une seule faveur, une seule grâce que j’implore, et ensuite, Léonor, je tâcherai de vous oublier si je puis. »

syrène.

Vous pleurez en lisant cette lettre ? Qu’est donc devenu cet orgueil si… féroce ?

léonor.

Je pleure sur de tristes souvenirs que ces lignes me rappellent.

syrène.

Qui bien aime, tard oublie.

léonor.

En présence de celui qui a porté un coup si funeste à mon cœur, ma blessure se rouvre et saigne de nouveau. — Je t’en avertis, Syrène, avec ses poursuites insensées cet homme finira par me perdre ; oui, il me tuera et me perdra s’il ne s’éloigne pas d’ici.

syrène.

Cela ne dépend que de vous.

léonor.

Que veux-tu dire ?

syrène.

Vous n’avez qu’à l’entendre. Il dit que si vous consentez à l’entendre une seule fois, il quittera Lisbonne aussitôt.

léonor.

En réponds-tu, Syrène ?

syrène.

Oui, madame.

  1. L’action de déchirer une lettre ou d’en briser le cachet s’exprime en espagnol par le même verbe romper, que Calderon a évidemment répété à dessein dans ce passage.