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JOURNÉE II, SCÈNE I.

laura.

Qu’est-ce que cela signifie ?

don félix.

Cela signifie qu’il y a un homme à cette heure que vous avez abusé long-temps, et qui est complètement désabusé… Cela signifie que cet homme renonce à vous pour jamais.

laura.

Je me meurs !

don félix.

Adieu.

laura.

Don Félix !

don félix.

Adieu.

Il marche dans la chambre, elle le suit.
laura.

Mon bien ! ma vie ! monseigneur !

don félix.

Mon mal, ma perte et ma honte, que me voulez-vous ?

laura.

Je veux ne vous aimer plus[1].

don félix.

Et moi, je vous crois, parce que vous le dites ; car ce que vous dites, je dois le croire. Car vous n’avez pas caché un homme là, dans cette chambre, n’est-il pas vrai ? Et vous ne m’avez pas affirmé que la porte de ce côté était fermée ? Et tout-à-l’heure vous n’avez point parlé à moi en pensant parler à cet homme !… Oui, je vous crois, bien que je l’aie vu de mes yeux… Mais non, je n’ai rien vu… Malheur à moi d’être plus clairvoyant pour votre honneur que vous-même !… Adieu, Laura ! adieu, Laura !

laura.

Un moment, de grâce, arrêtez !… Avant de partir, écoutez-moi.

  1. Mi mal, mi muerte, mi ofensa,
    Que me quieres ! — Que te quiero ?
    Te quiero no mas…

    Il y a ici un jeu de mots sur le mot querer, qui signifie en même temps, en espagnol, aimer et vouloir. La double signification de ce verbe a inspiré au poête Villegas le dénouement d’une petite pièce de vers pleine de charme que connaissent toutes les personnes qui se sont occupées de littérature espagnole. Le poète raconte qu’il a vu un oiseau se plaindre de ce qu’un laboureur avait dérobé le nid où l’oiseau avait laissé sa compagne. Il suivait le laboureur en voltigeant de branche en branche, et il semblait lui dire :

    « Dame, rustico fiero,
    Mi dulce compania. »
    I que le respondia
    El rustico : « No quiero. »

    « Rends-moi, homme cruel, ma compagne chérie. » Et cet homme lui répondait : « Je ne veux pas (ou je n’aime pas). »