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DE MAL EN PIS.

don juan.

Comment ne le serais-je pas en voyant en mon pouvoir un bonheur plus grand que je n’aurais pu l’imaginer ? car le bien que m’offre l’amour dépasse de beaucoup mon espérance. J’ai demeuré ici caché deux jours[1] ; car, ainsi que je vous l’ai dit déjà, l’alcayde de ce fort est mon intime ami ; et pendant ce temps j’ai acheté des joyaux, des bijoux, et je me suis fait faire quatre habits de gala[2], précautions ordinaires à un homme qui veut se présenter convenablement chez sa future. Quand j’ai eu ce qu’il me fallait, j’ai pris la poste et j’ai mis pied à terre au palais du gouverneur comme si je fusse arrivé à l’instant même. Je vous dis le palais ; j’aurais dû vous dire le palais enchanté, car j’ai vu là en petit les merveilles de la nature. Le printemps y était réduit à une fleur, l’aurore à une perle et le soleil à un rayon ; car ma belle future est à la fois une fleur charmante du printemps, et une perle fine de l’aurore, et un rayon divin du soleil. Que je suis heureux, mon ami, moi à qui un amour bien placé apporte tant de gloire !

don césar.

Et moi, malheureux mille fois, à qui un amour inexplicable n’apporte que des disgrâces !… Puisque ma peine doit être l’antidote de votre joie, écoutez-moi ; nous ne changerons pas de sujet de conversation : vous m’avez parlé d’amour, je vous parlerai d’amour également. — J’ai vu dans un jardin délicieux une statue de jasmin couronnée d’œillets, que le roi des mois, le gracieux mai, avait établie reine des fleurs, et qui avait été reconnue en cette qualité par la noblesse et le peuple des fleurs qui lui avaient acclamé au milieu des chants des oiseaux et du murmure des fontaines… Ne me demandez pas qui elle est, car, alors même que je voudrais vous le dire, cela me serait impossible. Il y a là toute une histoire sans pareille… Mais ce que je puis vous dire, c’est qu’elle m’engage par cette lettre, si je peux m’échapper de prison, à l’aller voir cette nuit, et que je lui ai répondu que j’irais, comme si j’avais eu la certitude que l’alcayde me laisserait sortir.

don juan.

Puisque je suis venu, don César, n’en doutez pas, vous n’y aurez pas d’empêchement. — Camacho ?

camacho.

Seigneur ?

don juan.

Va dire à l’alcayde de ma part que je le prie de venir ici, que j’ai à lui parler.

camacho.

J’y cours, seigneur.

Il sort.
  1. Voyez la notice qui précède la pièce.
  2. L’espagnol dit : Hice quatro galas