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JOURNÉE II, SCÈNE III.

flerida, à part.

Comme elle est bonne ! elle lui a conté mes chagrins pour m’éviter la honte de les raconter moi-même.

le gouverneur, à Flerida.

Soyez heureusement arrivée en cette maison, madame ; elle sera vôtre autant que mienne. Je ne m’étonne pas du mauvais succès de vos amours ; les histoires sont pleines de semblables aventures, aussi tristes, et même plus tristes que les vôtres. Ç’a été une véritable bonne fortune pour moi qu’après votre naufrage ma maison vous devint un port de salut. Usez d’elle à votre gré, et soyez assurée que vous n’en sortirez qu’honorée et contente. Tout cela se terminera avant peu, j’espère, à la commune satisfaction ; en attendant, vous demeurerez avec nous comme la fille ou la maîtresse de la maison… Lisarda m’a tellement sollicité pour vous, qu’alors même que je n’agirais pas ainsi à votre seule considération, j’y serais obligé par considération pour elle.

flerida.

Je vous rends mille grâces, seigneur.

lisarda, à part.

Que le ciel me soit en aide ! Qu’ai-je entendu ?

celia, bas, à Lisarda.

Vous voyez, madame, combien vous aviez tort de présumer que votre père vous eût reconnue, puisqu’il croit que — la prisonnière c’est elle.

lisarda, bas, à Celia.

Tu as raison ; mais comme c’est la première fois que le mal se change en bien, je n’y étais plus. Puisse cette erreur durer !

le gouverneur, à Flerida.

Prenez du courage, madame.

flerida.

Je suis trop heureuse, seigneur…

celia, à Lisarda.

Pourvu qu’elle ne nous perde pas à cette heure ! Elle ferait bien mieux de se taire.

flerida.

Un personnage de votre naissance et de votre mérite ne pouvait pas manquer d’avoir un cœur généreux… Une femme infortunée est venue se jeter à vos pieds aujourd’hui… Puisque vous savez qui je suis, daignez accorder votre appui à une femme errant dans un pays étranger.

lisarda.

Eh bien ! Celia, Nice… vous voyez ; le mal s’est converti en bien, et j’ai peine à le reconnaître.

flerida, s’approchant.

Et vous, madame, souffrez que je vous embrasse. (Elle l’embrasse.) Quelle gratitude je vous dois ! À votre première bonté